Devoir de conseil

Des exigences resserrées à tous les niveaux

Aucun produit ni aucun réseau de distribution n’échappe à l’attention des régulateurs et des magistrats
Les principes généraux sont désormais bien balisés, mais ils sont régulièrement mis en défaut par les intermédiaires
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À la différence d’un vendeur de produits de grande consommation, le conseil en gestion de patrimoine (CGP) est tenu de respecter l’impératif du devoir de conseil. Rabâché sur tous les tons, ce principe connaît pourtant des applications diverses. Par exemple, si ce conseiller s’engage sur la base des préconisations fiscales qu’il délivre, de telles recommandations sont de plus en plus scrutées par les législateurs, aussi bien sur un plan européen que national. Être CGP, c’est aussi travailler sur des solutions immobilières qui ne sont pas sans danger pour leur distributeur, en raison notamment de l’intervention de prestataires tiers. Enfin, conseil en assurance vie et conseil sur des instruments financiers ne sauraient être confondus. Les régulateurs eux-mêmes ont récemment rappelé les règles applicables.

LE CONSEIL FISCAL

Éclairer sur les conséquences fiscales d’une opération. « Le devoir d’information et de conseil d’un CGP porte sur tous les aspects juridiques et fiscaux des produits commercialisés », rappelle Dounia Harbouche, avocate au barreau de Paris. Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 mars 2011 (n°09-06452) l'a d'ailleurs confirmé : celui-ci est notamment tenu d’éclairer son client sur les conséquences fiscales de l’opération projetée. Citant l’exemple des obligations d’information et de conseil auxquelles est tenu le courtier en assurance, l’experte explique que le professionnel doit informer le client préalablement à la souscription du contrat. Notamment, « les clauses bénéficiaires doivent être bien rédigées pour éviter que les capitaux décès ne soient intégrés dans la succession ».

Conseiller dans la durée. Le courtier est également tenu des mêmes obligations tout au long de la durée du contrat. Par exemple, si la clause bénéficiaire est modifiée très peu de temps avant le décès du souscripteur en soins palliatifs, le contrat d’assurance vie encourt une requalification en donation indirecte à l’initiative des héritiers réservataires non gratifiés. Le CGP pourrait engager sa responsabilité auprès des bénéficiaires désignés trop tardivement, pour perte de chance. Il en va de même au moment des rachats, au regard des options fiscales les plus avantageuses pour le souscripteur. Le choix pour l’assujettissement à l’impôt sur le revenu (IR) ou pour le prélèvement libératoire doit être justifié.

Bien mesurer l’incidence fiscale. Le 25 avril 2017 (n°15-13799), la cour d’appel de Paris a condamné pour manquements à leurs obligations professionnelles des avocats fiscalistes et des notaires pour ne pas avoir proposé à leurs clients l’exonération fiscale Dutreil. « Une solution qui pourrait également s’appliquer aux CGP », selon Olivier Rozenfeld. Pour le président de Fidroit, « il s’agit avant tout d’un métier de conseil, avant celui d’intermédiaire ». D’après lui, la vente de produit ne doit être qu’un « accessoire » du conseil, rappelant ainsi les principaux apports d’un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 23 septembre 2014 (n°13-22763), fondateur en la matière.

Tenir compte des mesures qui ne sont pas encore votées. Il est aussi question d’appréhender l’évolution de la fiscalité telle qu’elle est envisagée par un projet de loi de Finances. C’est ce qu’a rappelé la cour d’appel d’Aix-en-Provence (n°15/00805) à l’encontre d’un CGP. Et cet arrêt peut avoir des conséquences très pratiques. Olivier Rozenfeld cite le cas de professionnels qui incitent des investisseurs à percevoir leurs dividendes taxables à hauteur de 12,8 % au titre de l’IR avec la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU). « Il faut bien mettre en garde les clients sur le fait que ce prélèvement n’est pas libératoire, il ne représente qu’un acompte. Il peut donc être remis en cause jusqu’au 31 décembre ».

Comment se prémunir d’une éventuelle mise en cause ? La responsabilité de CGP peut être écartée s’il est démontré que la loi a évolué une fois l’opération réalisée et qu’elle n’était pas en préparation au moment de l’intervention du conseiller. C’est ce que le tribunal de grande instance (TGI) de Castres a admis le 15 mars 2018 (n°16/00131). Avec l’application des lois de Finances, de nombreux écueils sont à éviter. Soit il faudra attirer l’attention sur « une certaine urgence à agir », ou bien au contraire, sur la nécessité d’attendre, prévient Dounia Harbouche. Par ailleurs, « lorsque les CGP sont consultés dans le cadre d’une mission de conseil voire même d’optimisation fiscale, ils doivent bien évidemment être titulaires de la compétence juridique appropriée qui doit être le nécessaire accessoire de l’opération patrimoniale envisagée », rappelle aussi l'avocate.

Être entouré de professionnels compétents. Pour Dounia Harbouche, il est question « d’avertir systématiquement les clients des CGP du risque de non obtention de l’avantage fiscal ou de redressement ». Comment ? Au moyen d’une reconnaissance de conseil donné écrite, remise en main propre contre signature, ou adressée avec accusé de réception. « Le professionnel ne doit pas hésiter à faire appel, en cas de doute, à un spécialiste qui pourra, par exemple, valider le montage conseillé, ajoute-t-elle, tout en délimitant bien le contour des missions de chacun ».  

VERS UNE MISE EN CAUSE RENFORCÉE

De nouvelles charges déclaratives en préparation. Au niveau européen, le Conseil a adopté le 25 juin dernier une nouvelle directive (2018/822) qui vise à remonter aux autorités de manière automatique et obligatoire des informations sur les dispositifs transfrontières d’optimisation fiscale. Les conseillers fiscaux qui conçoivent au profit de certains de leurs clients de tels schémas sont en première ligne. « L’objectif ultime est de concevoir un mécanisme dissuasif qui découragera les intermédiaires de concevoir et de commercialiser ce type de dispositifs », a annoncé le Parlement dans l’exposé de ses motifs. Les premiers échanges automatiques sont prévus pour le 31 octobre 2020 au plus tard. « Le texte comportant une forme de rétroactivité, la communication portera sur les transactions et les montages mis en place à compter du 25 juin 2018. Ce qui implique pour les conseillers de travailler dès maintenant à ce qu’ils vont déclarer en 2020 – sauf dispositions contraires des textes de transposition », avertit Gianmarco Monsellato, avocat associé du cabinet Taj.

Presque tous les conseillers sont concernés…  L’obligation de déclaration a un périmètre très vaste puisque la directive vise « tous les acteurs qui participent généralement à la conception, la commercialisation, l’organisation ou la gestion de la mise en œuvre d’une opération transfrontière ». Sont donc concernées toutes les officines de conseil non réglementées, ainsi que la plupart des professions du chiffre et du droit, à l'exception notable de la profession d’avocat qui serait a priori exclue du champ de la directive en raison du secret professionnel auquel elle est tenue. Toutefois pour minimiser la charge de travail des services fiscaux, cette mesure est limitée aux situations transfrontalières, à savoir les situations impliquant deux États membres ou l’un d’eux et un pays tiers. Les États ont jusqu’au 31 décembre 2019 pour transposer ces nouvelles dispositions, applicables au 1er juillet 2020.

… sur la base des montages agressifs préconisés.  Les schémas qui comportent un certain nombre de marqueurs témoignant d’un risque potentiel de fraude fiscale sont mis à l’index. Selon Gianmarco Monsellato, « l’identification de ces situations repose sur deux cliquets de déclenchement. Celui dit “de l’avantage fiscal” qui consiste à déterminer si l’intérêt significatif de l’opération est fiscal. Dans un second temps, la directive relève un ensemble de marqueurs spécifiques en présence desquels l’intermédiaire devra communiquer ». Sont par exemple visées les opérations à destination de pays à très faible fiscalité ou non coopératifs. Constituent également un indice de suspicion les schémas susceptibles de porter atteinte à l’échange automatique d’informations sur les comptes financiers ou sur les bénéficiaires effectifs de ces avoirs.

Un affinage attendu lors de la transposition.  « Des marqueurs qui demeurent extrêmement flous et qui n’ont pas forcément d’équivalent en droit interne. Il faut
espérer que les textes de transposition soient plus précis sur la notion d’avantage fiscal »,
indique Robin Binsard, avocat, cabinet Vigo. En la matière, il faut compter avec le législateur français. Si la directive ne dit mot des sanctions envisagées, « le projet de loi de lutte contre la fraude peut déjà donner une idée de celles que la France pourrait appliquer. Les sénateurs ont adopté une sanction administrative, exclusive des sanctions pénales, applicable aux intermédiaires qui concourent à l’élaboration de montages frauduleux ou abusifs. Le montant de l’amende serait de 10.000 euros ou, s’il est supérieur, de 50 % des honoraires du conseiller », commente Robin Binsard.

LE CONSEIL IMMOBILIER

Une approche jurisprudentielle. En matière d’investissement immobilier défiscalisant, l’intermédiaire se doit d’être particulièrement attentif à son devoir d’information et de conseil, même si la loi est assez silencieuse sur le sujet, laissant aux juges le soin d’en dégager les contours. « Si les règles sont pour la plupart issues de la jurisprudence, on peut néanmoins mentionner quelques textes comme l’article L 111 -1 du Code de la consommation qui peuvent s’appliquer aux CGP », explique Philippe Glaser, avocat associé, Taylor Wessing. Récemment renforcé par l’article 1112-1 du Code civil (L’Agefi Actifs n°727, pp. 8-12), le devoir d’information qui apparaît désormais au stade précontractuel, « ne s’arrête pas à la conclusion du contrat, mais s’inscrit de manière continue sur la durée de celui-ci », rappelle Édouard Fourniau, directeur général adjoint de Cerenicimo.

Adéquation du produit. Quels sont les contours de ces deux devoirs ? « L’obligation d’information du professionnel lui impose de s’informer lui-même sur le produit proposé – dont sa localisation, sa rentabilité ou la qualité du montage - et d’informer clairement, de manière exacte, non trompeuse et de la manière la plus exhaustive qui soit son client sur le produit proposé, explique Philippe Glaser. Au-delà de cette information, son devoir de conseil consiste à indiquer si le produit correspond aux besoins du client, de s’assurer de son adéquation. Il recouvre aussi l’idée d’être objectif, et d’éviter tout conflit d’intérêt avec pour corollaire une obligation de loyauté qui, dans le sillage de DDA et MIF 2, peut être vérifiée notamment sous l’angle de la rémunération du CGP ». Ainsi, en juillet 2012, la Cour d’appel de Toulouse a condamné un agent immobilier et un mandataire in solidum, l’un pour manquement à l’obligation d’information et l’autre au devoir de conseil, à dédommager les acquéreurs d’une villa en Vefa qui n’ont pu bénéficier du dispositif Robien.

Les notaires concernés. Chacun des professionnels participant à l’opération doit prendre en compte la motivation du client pour adapter son obligation d’information et de conseil. Y compris donc du côté du notaire. « Un investisseur peut exiger que le motif de l’investissement soit indiqué dans l’acte de vente de manière à déclencher l’obligation du notaire, car le cas échéant ce dernier peut dire qu’il n’était pas au courant. L’autre avantage, c’est que cela devient un motif de nullité de la vente, même si en pratique les dommages-intérêts sont plus fréquents », explique Paul Duvaux, avocat spécialiste en droit fiscal. Ainsi, dans une décision du 31 janvier 2018 (n°16-19389 et 16-19445), la Cour de cassation a retenu la responsabilité du notaire dans un montage en location meublée professionnelle (LMP). Elle a considéré que celui-ci, « conseiller habituel en optimisation fiscale spécialisé dans ce genre de montage et notaire unique du programme litigieux, ne pouvait ignorer qu’il s’agissait d’une opération de défiscalisation et se devait de fournir à ses clients l’ensemble des informations concernant les obligations à respecter afin d’obtenir effectivement les avantages fiscaux légalement prévus ».

Possible cause de nullité. Dans la plupart des cas, les juges y voient une obligation de moyen « classique », engageant seulement le professionnel à déployer ses efforts pour atteindre l’objectif visé. Mais gare à ne pas franchir la ligne. « Il importe au CGP de ne pas prendre d’engagements susceptibles de constituer une obligation de résultat, comme présenter une opération “sans risque” ou de garantir des loyers, alors qu’existe un risque de vacance », indique Philippe Glaser. Quelles sanctions ? Le plus souvent, le versement de dommages-intérêts à l’investisseur, la difficulté résidant dans la détermination du quantum : « une chose est de prouver la faute, une autre de calculer le préjudice, explique Paul Duvaux. La tâche est délicate en matière fiscale, car l’impôt aurait dû être payé. On peut se fonder sur la perte de chance, mais cela reste très subjectif ». Mais ces dernières années, la Cour de cassation a tendance à être plus stricte, n’hésitant pas à aller sur le terrain de la nullité du contrat.

Alignement sur les CIF. « Auprès des CGP, les standards d’exigence montent alors que les juges étaient auparavant plutôt cléments et les potentielles situations de conflit d’intérêt sont appréciées de plus en plus attentivement par les juges », explique Paul Duvaux. « Dorénavant, en matière d’investissement immobilier, il va falloir jouer sur la même transparence que pour les conseillers en investissement financier(CIF), soit du fait d’une jurisprudence sévère appelée à se développer, soit de la volonté des politiques », analyse Stéphane Pilleyre, consultant et formateur en gestion de patrimoine. Un mouvement anticipé par Cerenicimo, qui recommande « de prendre exemple sur la réglementation des produits
financiers pour se prémunir contre les actions en responsabilité ».
Dans le viseur : l’affaire Maranatha, dans laquelle l’AMF a considéré que l’obligation d’information du CIF ne pouvait être couverte par la seule remise des plaquettes commerciales, et ce en dépit des mises en garde verbales de la part du conseiller.

LE CONSEIL VU PAR LES RÉGULATEURS

À côté des litiges qui opposent des clients insatisfaits aux intermédiaires devant les tribunaux, les superviseurs ont été investis de la surveillance et du contrôle du respect du devoir de conseil par le législateur européen. Ce qui a d’ailleurs conduit certains observateurs à considérer que l’Union européenne a incité les États membres « à se détourner de leurs juges, au profit des régulateurs pour garantir aux consommateurs une protection jugée meilleure » (1). Récemment, les deux autorités en charge du marché français, à savoir l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ont livré leurs approches sur le sujet du devoir de conseil adéquat à la charge des établissements bancaires, des compagnies d’assurance et des intermédiaires. Des rappels d’autant plus opportuns que la directive MIF 2 sur les marchés financiers est à l’œuvre depuis le 3 janvier 2018, quand celle dédiée à la distribution d’assurance est fixée au 1er octobre 2018.

Pas de conseil en cas de mise en garde.  Au début du mois de juillet, l’AMF a publié un compte-rendu des contrôles qu’elle a exercés auprès des opérateurs sur la base des conseils formulés à leur clientèle. Elle en a profité pour rappeler qu’un prestataire de services d’investissement ne doit pas conseiller un instrument financier qui vient de faire l’objet d’une mise en garde. Le superviseur a déploré l’absence de blocages, informatiques notamment, visant à empêcher la fourniture d’un conseil en investissement lorsque le questionnaire client est manquant ou incomplet, ou en cas d’inadéquation de l’instrument financier avec le profil du client.

Des procédures à formaliser. Comment être certain que le service d’investissement rendu est en ligne avec les attentes du consommateur si les procédures de traçabilité sont défaillantes ? Pour l’AMF, le cas « le plus préoccupant » est celui d’un établissement qui laisse la traçabilité du conseil en investissement à la main des conseillers, sous la forme d’un commentaire libre. « Ce dernier est très succinct et se résume souvent à un simple récapitulatif de la souscription ». Et que dire de « la prédominance du recours à l’auto-évaluation, consistant à poser au client des questions très générales » qui ne permettent pas aux établissements d’apprécier par eux-mêmes ses connaissances et son expérience en matière d’investissement ? Sur la base de ces recommandations, les établissements financiers sont invités à revoir leurs démarches commerciales, notamment en ce qui concerne les parcours client, sous peine de figurer dans le viseur de l’autorité.

Circonstances atténuantes. À leur décharge, ils pourront très bien se prévaloir des nouvelles règlementations qui, à certaines occasions, ne se révèlent pas d’une grande utilité pour les consommateurs. Bien au contraire puisque l’AMF a relevé dans son récent exercice de cartographie des risques - également publié en juillet - certaines difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de la règlementation Priip. Pour mémoire, celle-ci a instauré un document d’informations clé (DIC) qui est censé reprendre de manière synthétique et commune à un ensemble de produits parfois très différents, les principales informations nécessaires à l’investisseur. Problème, les scénarios de performances futures prévues par les textes « pourraient être mal interprétés par les épargnants », souligne l’AMF. Il est « à craindre », annonce le superviseur, qu’ils soient considérés par les épargnants comme une « espérance » de performances futures « voire un engagement de la part du gestionnaire ».

Trois niveaux de conseil en assurance.
De son côté, l’ACPR vient de publier ses préconisations en matière d’appréciation du devoir de conseil par les compagnies d’assurance et les intermédiaires. À la différence du conseil en investissement financier, le conseil repose sur trois niveaux distincts. Une obligation « socle » prévoit que tout contrat conseillé est cohérent avec les besoins et exigences du client.
Ce premier niveau peut être prolongé par un service de recommandation personnalisée du contrat qui correspond « le mieux » au client. Dernier cas de figure, l’intermédiaire peut se prévaloir de fournir son service de recommandation sur la base d’une analyse impartiale d’un nombre suffisant de contrats offerts sur le marché. La manière de recueillir des informations auprès du client est la même pour les différents types de conseil. C’est davantage la profondeur et la largeur du questionnement qui peuvent varier : s’agissant de la vérification de cohérence, la collecte peut se concevoir sous forme de questions fermées, sous réserve que le client puisse néanmoins exprimer des attentes qui lui sont propres. En cas de recommandation, ce recueil doit être approfondi voire élargi. 

(1) F. Boucard, “La disgrâce du devoir de conseil du banquier”, AJ Contrat 2018, p.65.)