
Des correctifs pour minorer le montant des sanctions

Le message est clair.
Il ressort des dernières sanctions (1) de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) que celle-ci n’entend pas laisser de passe-droit aux acteurs de la gestion d’épargne sur le front de la lutte contre le blanchiment de capitaux (LCB-FT). Nul n’est à l’abri d’un contrôle ni d’une sanction et tant l’assureur Axa France Vie (AFV) que l’établissement de paiement Lemon Way, agréé en fin d’année 2012, peuvent en témoigner.
Conciliant.
Ces procédures s’accompagnent toutefois de la prise en compte par le superviseur des actions de correction entreprises en vue de se conformer à ses attentes. Et, c’est un autre enseignement essentiel de ces décisions, celui-ci sait se montrer conciliant, le montant des amendes en témoigne. De huit millions, la sanction d’AFV a été réduite à deux millions et demi d’euros. Pour sa part, Lemon Way a vu sa peine modérée de 100.000 à 80.000 euros.
Défaillances.
Ainsi, la vigilance de l’ACPR n’est pas réservée aux établissements bien installés. « Lemon Way a fait l’objet d’un contrôle deux ans et demi après avoir reçu son agrément, fait remarquer Damien Guermonprez, son président directeur général. Compte tenu du caractère innovant du marché et de l’absence de pratique de Place établie, nous continuons de penser que les griefs ont été particulièrement sévères. » Entre autres, Lemon Way a été sanctionnée pour ne pas avoir « totalement » respecté ses obligations en matière d’identification de sa clientèle. Dans son cas, le régulateur a qualifié de « défaillants » les dispositifs de classification des risques et de suivi des relations d’affaires.
Précision.
Les activités de Lemon Way ne correspondent pas à celles d’une plate-forme de financement participatif : « En qualité d’établissement de paiement, nous ne faisons que les servir, explique Damien Guermonprez. Les rôles sont bien distincts, ils ne peuvent pas collecter l’argent des investisseurs, nous ne sommes pas régulés pour proposer des financements participatifs. » Le modèle repose sur la mise à disposition de la plate-forme de paiement développée par Lemon Way au profit de sites partenaires de collecte en ligne, de financement participatif ou de commerce en ligne. C’est un de ces partenariats commerciaux qui est en cause : « Nous sommes partis sur un mauvais modèle avec une plate-forme de financement participatif de don pour laquelle nous ouvrions des comptes de paiement alors que les clients étaient occasionnels. » Dans ce cas précis, l’ACPR a notamment retenu dans son argumentaire que Lemon Way aurait dû procéder à une identification des clients et à une vérification de leur identité dès la signature des conditions générales.
Bons de capitalisation.
Avec un chiffre d’affaires de 16 milliards d’euros en 2015, Axa France Vie figure à l’autre bout de l’échelle des organismes contrôlés. Parmi les charges retenues, la commission des sanctions a conclu qu’à la date du contrôle, de septembre 2013 à juillet 2014, les opérations sur les bons de capitalisation au porteur (BCP) n’ont pas été classées en « risque élevé ». Une situation sur la base de laquelle l’Autorité a conclu que la classification des risques n’était pas suffisamment adaptée aux produits et à la clientèle. Dans le détail, la commission a retenu que lorsque le client n’a pas demandé l’anonymat fiscal, le classement de ces BCP « en risque moyen seulement » est « insuffisant ».
Risque élevé.
Dans ce dossier, il a été souligné que le choix du régime fiscal déclaratif ne peut avoir pour effet de supprimer le risque de blanchiment que présentent ces produits, « dont la portabilité interdit à l’émetteur de connaître la chaîne des porteurs et qui s’apparentent à bien des égards à des liquidités ». Face à ce risque, le superviseur relève que « dès lors qu’ils favorisent l’anonymat », les BCP doivent « nécessairement être placés en risque élevé » dans la classification des risques d’un établissement qui « en émet ou en a émis, ce qui est le cas d’AFV pour un volume très important ». L’Autorité signale également qu’elle a rappelé à deux reprises dans ses principes d’application sectoriels (PAS) « l’attention des organismes d’assurance » sur ces produits en février 2015, mais aussi en juin 2010, soit avant le contrôle effectif mené dans les locaux d’Axa.
Autres charges.
Les « carences » pointées par le régulateur en matière d’identification et de vérification de l’identité des bénéficiaires effectifs sont en cause également. Au même titre que la détection des personnes politiquement exposées (PPE) qui « était encore rudimentaire au regard de la taille de l’entreprise ». C’est un point sur lequel le régulateur insiste : la vigilance exercée par Axa est qualifiée de « lacunaire » dès lors que la compagnie a commercialisé des contrats à des clients non résidents susceptibles de remplir les critères des PPE. Les filtres employés sont également dans le viseur : le personnel de la compagnie n’a disposé « d’aucun dispositif automatisé de détection ». D’ailleurs, une telle détection a reposé sur les déclarations de la clientèle à l’entrée en relation ou à l’occasion d’un versement, mais pas lors d’un rachat ou d’un remboursement.
Enseignements.
Sur ces critiques, Axa France Vie a fait savoir par la voix d’Hubert Marck (2), son directeur des affaires publiques et conformité, qu’elle a tiré les enseignements d’une décision dont elle n’a pas fait appel. Par exemple, pour se conformer aux obligations en matière d’identification du bénéficiaire effectif, « c’est avant tout sur des procédures de traçabilité et de formalisme que nous avons porté nos efforts. De notre côté, la recherche d’identité faisait déjà l’objet de mesures de vigilance renforcées sans être formalisée comme tel, ce qui est désormais intégré ».
Anticipation.
Autre point qui suscite l’attention : « Les personnes morales qui détiennent un contrat d’assurance vie et qui entrent dans notre catégorie ’Gestion de fortune’ (Wealth management), détaille Hubert Marck. Il nous arrive de refuser des affaires quand, par exemple, le souscripteur ne nous transmet pas la liasse fiscale de la société. » En ce qui concerne les opérations réalisées sur les bons de capitalisation, « qui ne sont plus commercialisés chez Axa depuis 2013, nous avons mis en place des mesures de vigilance renforcées », poursuit-il. Enfin, le formalisme et le filtrage quotidien des listes PPE avec celles des clients ont été renforcés : « Nous avons anticipé la quatrième directive LCB-FT qui entre en application en juin 2017 et qui a été étendue aux PPE nationales. »
Correctifs.
De telles actions ont d’ailleurs été incluses dans un programme de corrections élaboré par la compagnie d’assurances. A ce titre, la commission a admis que « la mise en place ultérieure d’un dispositif de filtrage quotidien et automatisé de détection des PPE s’analyse comme une action correctrice ». Qualifié de « vaste », ce plan d’action « qui a coûté 27 millions d’euros » et qui a fait l’objet d’une application dans un délai de 18 mois a recueilli la faveur de l’ACPR. « Il convient de tenir compte, au moins partiellement », d’une mise à niveau rapide du dispositif de LCB-FT, a ainsi tranché le régulateur. « Nous nous sommes présentés devant la commission des sanctions avec un programme d’actions correctives qui était achevé et certifié par un auditeur externe indépendant », explique Hubert Marck.
Audits et outils.
De son côté aussi, Lemon Way s’est lancé dans l’acquisition de coûteux correctifs. Son dirigeant énumère les efforts concédés : « Nous avons travaillé avec le cabinet d’audit PwC qui a dépêché un expert en conformité pour une mission de six mois par la suite. A la demande de l’ACPR, qui a suivi le contrôle sur place, des audits ont été réalisés, l’un portant sur le respect du cantonnement, l’autre sur le plan de continuité d’activité. » La lutte contre le blanchiment donne lieu de manière régulière à des investissements : « Nous avons investi 600.000 euros en 2016 dans l’amélioration de nos systèmes LCB-FT, soutient Damien Guermonprez, ce qui représente deux tiers de nos efforts de recherche et développement (R&D). » Dans le détail, la structure a procédé à l’acquisition et à l’installation de filtres dédiés aux PPE. « Cette documentation, qui comporte des millions de fiches de personnalités, recense par exemple les détenteurs d’un mandat politique. Nous redoublons de vigilance sur ce point car il arrive régulièrement que de telles personnes soient identifiées par nos systèmes », témoigne le dirigeant. Autre outil utilisé, « les listes des sanctions qui recensent les actifs gelés dans le monde. Le prix d’achat des deux dispositifs avoisine les 20.000 euros par an », poursuit-il.
Investissements internes.
Chaque mise à jour des procédures de contrôle a également donné lieu à des investissements en interne, notamment par le biais de recrutements. Des collaborateurs déjà en poste sont aussi incités à se pencher sur ces questions. Selon Hubert Marck, « un tel programme, supervisé par un comité stratégique, a embarqué une cinquantaine de collaborateurs. Nous avons revu l’ensemble de l’animation dédiée à la lutte contre le blanchiment, ce qui concerne à peu près 200 salariés d’Axa France. Nous avons également revu leurs objectifs et l’évaluation de leurs performances ».
Résultats.
La mise à jour des connaissances n’a pas été oubliée puisque « un organisme indépendant leur a délivré des formations certifiantes ». L’enjeu des procédures de gestion a aussi été abordé : « Une révision des procédures internes a abouti à leur refonte dans une seule et même base de documentation ». Résultat ? « Les déclarations de soupçon ont doublé entre 2014 et 2015, annonce Hubert Marck. Nous organisons également des rencontres régulières avec Tracfin pour étudier la quantité et la qualité des déclarations de soupçon que nous leurs transmettons. »
Actions continues. Côté Lemon Way, « nous avons responsabilisé chacun de nos managers pour piloter ses activités à travers une gestion par les risques, détaille Damien Guermonprez. Un quart des effectifs de Lemon Way s’occupe de contrôle sous toutes ses formes, depuis le premier trimestre 2016 ». Il annonce encore que les actions correctrices sont « continues » au motif que « la réglementation est mouvante, à l’image de l’obligation de mise en place d’une procédure de connaissance client (KYC) au premier euro pour les plates-formes de don au statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP) ».
Europe.
Axa entend tirer profit de sa stature internationale pour intégrer sa filiale luxembourgeoise dans ce projet. « Nous avons calé les procédures luxembourgeoises sur celles de France car nous tenions à disposer de méthodes homogènes », explique Hubert Marck. Il est vrai que la question de la mise en œuvre cohérente des obligations LCB-FT à l’échelle européenne est un véritable enjeu. Damien Guermonprez ne se fait pas d’illusion : « Nos principaux concurrents sont basés dans des pays où le régulateur et la transposition des directives européennes nous semblent moins stricts qu’en France et ils bénéficient donc, à travers la libre prestation de services, d’une capacité à nous concurrencer sans appliquer à la lettre la réglementation française. En cela, nous sommes pénalisés d’être régulés en France car la règle du jeu n’est pas identique sur le sol français en fonction de la nationalité de l’entreprise de paiement. »
(1) Axa France Vie, n°2015-08, 8 décembre 2016. Lemon Way, n°2016-05, 30 mars 2017. Le 28 décembre 2016, Saxo Banque France a également été sanctionnée à hauteur de 900.000 euros sur la base de ses procédures LCB-FT. La société propose une offre de courtage en ligne permettant d’accéder à une plate-forme de trading.
(2) Hubert Marck est vice-président de la commission de lutte contre le blanchiment de la Fédération française d’assurance (FFA).