
Des contrôles focalisés sur des sujets à enjeux

SANCTIONS À RÉPÉTITION SUR LE TERRAIN DE LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT
Depuis 2015, l’enjeu que représente la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) figure parmi les priorités des régulateurs. L’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) l’a d’ailleurs rappelé à l’occasion de sa conférence annuelle cette année-là (L’Agefi Actifs n°665, p. 22).
Sur le terrain, ce tour de vis est confirmé par les sanctions respectives de 500.000 euros et de 5 millions d’euros prononcées à l’encontre de la Mutuelle d’Ivry-la-Fraternelle (MIF) et de Generali. Maintenant la pression, l’autorité a sanctionné Skandia Life, la filiale luxembourgeoise de l’assureur Skandia, à hauteur de 1,2 million d’euros dans le courant de l’été 2016. Dans un autre dossier, la société de gestion DNCA Finance a acquitté 420.000 euros au titre d’un accord de composition avec l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Le Luxembourg n’est pas à l’abri du régulateur français.
Les enseignements de la décision visant Skandia Life sont multiples : au premier rang, le régulateur a rappelé que l’absence d’ouverture d’une procédure disciplinaire par le superviseur luxembourgeois est sans incidence sur un contrôle initié de l’autre côté de la frontière. Par ailleurs, la Commission des sanctions de l’ACPR a retenu une liste fournie de manquements en désignant tour à tour des carences dans les procédures internes, le suivi de la relation d’affaires et l’obligation de vigilance complémentaire concernant les personnes politiquement exposées (PPE).
Sur ce dernier point, les contrôleurs se montrent d’autant plus sourcilleux que, à la fin de l’année 2015, un responsable de Tracfin, la cellule de l’administration en charge du suivi des dispositions LCB-FT, a souligné que « près de 20 % des assureurs n’ont pas intégré le signalement » de cette typologie de clientèle (L’Agefi Actifs, n°665, p.22). A ce titre, plusieurs dossiers individuels ont présenté, selon l’établissement lui-même, un risque élevé qui n’a pas donné lieu à un traitement approprié. Et les opérations de certains clients n’ont pas fait l’objet de l’examen renforcé qui aurait dû être effectué : l’assureur s’est réfugié jusqu’en 2013 derrière une procédure limitant les investigations sur l’origine et la destination des fonds aux montants supérieurs à 150.000 euros alors que cette référence aux seuils est exclue depuis une ordonnance de 2009.
Pour le superviseur, de tels éléments sont de nature à constituer « un retard fautif » dans l’application de la troisième directive antiblanchiment datant de 2005. Et le contexte d’une restructuration mise en place entre 2012 et 2014 (L’Agefi Actifs n°591, p. 8), qui s’est notamment traduite par une réduction des effectifs, ne saurait justifier de telles carences.
La régularisation des comptes bancaires non déclarés.
Alors que plusieurs défauts de déclaration de soupçon (DS), initiale ou complémentaire, sont établis, le cas particulier de régularisations de comptes bancaires non déclarés est évoqué à plusieurs reprises. Par exemple, Skandia Life aurait dû adresser une DS à Tracfin faute d’avoir obtenu des explications sur l’origine des fonds utilisés par une de ses clientes. Si celle-ci a pu se prévaloir d’une lettre de l’administration fiscale sur la régularisation de deux comptes, en revanche, un examen renforcé n’a pas permis de s’assurer que deux autres comptes ont bien fait l’objet d’une régularisation et ce en dépit de l’attestation émanant d’un CGPI. Pour la Place du Grand-Duché, cet élément est important à prendre en considération dès lors que les assureurs luxembourgeois accueillent à bras ouverts les fonds régularisés depuis des années par des contribuables français (L’Agefi Actifs n°609, p. 11).
Des actions correctrices.
Au vu de l’ensemble des errements relevés, l’addition aurait pu se révéler beaucoup plus lourde pour Skandia Life si la Commission des sanctions n’avait pas tenu compte des corrections engagées depuis la fin du contrôle sur place. L’arrivée du groupe Apicil en qualité de nouvel actionnaire a aussi pesé dans la balance. Renaud Célié, le directeur général adjoint du groupe, rappelle à ce titre que depuis ce contrôle qui s’est déroulé en 2014, « Skandia Life, qui n’est plus une entité isolée d’un groupe étranger, fait désormais partie du groupe Apicil et profite à ce titre d’un programme de travail sur la conformité ». En pratique, un nouveau progiciel de conformité LCB-FT a été mis en œuvre. « Une de nos priorités demeure de développer un processus opérationnel digital qui a été mis en difficulté chez Skandia Life par les crises financières successives, poursuit le dirigeant. Plus particulièrement, les questions de conformité qui se rapportent au profilage client ou aux PPE sont gérées par Apicil qui déploie ses solutions vers chacun de ses réseaux de distribution. »
Le thème de la lutte antiblanchiment devrait prochainement revenir dans l’actualité puisque deux assureurs d’envergure sont visés par une procédure de sanction. Pour les compagnies d’assurances dans leur ensemble, un effort dans l’actualisation des procédures est d’autant plus à l’ordre du jour que la publication de l’ordonnance de transposition de la quatrième directive antiblanchiment est prévue au plus tard le 3 décembre 2016 (1). Odilon Audouin considère d’ailleurs que « cette parution est bienvenue en ce qu’elle permettra de faire évoluer les assureurs sur l’appréhension des PPE et des bénéficiaires effectifs où ils n’ont plus le droit à l’erreur. Forcément, ils seront tenus d’améliorer également les procédures sur les secteurs de la prévoyance, de la santé et de l’IARD où ils connaissent moins leurs clients ».
Un accord de composition.
Du côté de l’AMF, la société de gestion DNCA a été condamnée à payer 420.000 euros au titre d’un accord de composition conclu le 6 juillet 2016. Des lacunes portant sur le dispositif de conformité et de contrôle interne ont été visées, à l’image de « la formalisation des vérifications conduites par DNCA ». Le superviseur s’est toutefois montré conciliant et a entendu les arguments de la société qui a renforcé ses contrôles « en y allouant des moyens humains, techniques et financiers croissants », a souligné l’AMF. Il a également apprécié que le gérant adopte, « au surplus dans le cadre de son acquisition depuis le 1er juillet 2015, par un acteur mondial dédié à la gestion d’actif (à savoir Natixis Global Asset Management (NGAM), filiale de Natixis, ndlr), les standards élevés de ce dernier en matière de supervision ». Pour Odilon Audouin, « ce type d’accord est bienvenu pour la Place dont les acteurs craignent une double sanction, à savoir des investissements importants pour mettre à niveau leurs procédures de mise en conformité et le paiement d’une sanction prononcée par un régulateur. Un accord permet au moins de s’assurer d’un suivi de la bonne exécution des actions ».
DES ENGAGEMENTS SYSTÉMATIQUES SUR LA BASE DE L’INFORMATION DES CLIENTS
Qu’ils contrôlent des conseillers ou des établissements financiers, les superviseurs condamnent régulièrement ces acteurs au regard de la qualité de l’information délivrée. Deux affaires illustrent clairement la voie suivie par l’AMF pour sanctionner les manquements à l’activité de conseil en investissement financier (CIF) : le dossier Legendre en date du 7 juin 2016 a notamment vu cette société, également désignée Global Patrimoine Investissement (GPI), être condamnée à hauteur de 500.000 euros et perdre son droit d’exercer l’activité de CIF pendant trois ans. Celle-ci a d’ailleurs formé un recours devant le Conseil d’Etat contre cette décision. En revanche, par ordonnance du 6 septembre 2016, le juge des référés a rejeté sa requête en suspension de l’exécution de cette même décision.
Un autre cas, concernant la société Atypik Patrimoine, s’est soldé le 13 octobre 2016 par une sanction de 20.000 euros. Pour mémoire, le CIF en cause dans cette affaire était poursuivi pour avoir proposé à ses clients d’investir dans une plantation de teck au Panama au moyen d’une souscription aux actions d’une société anonyme de droit panaméen en constitution.
La distribution de produits atypiques relève du statut de CIF…
Dans le premier dossier, la société Legendre Patrimoine s’est spécialisée dans la commercialisation de produits d’investissement portant sur les énergies renouvelables. Elle a été visée pour la commercialisation de deux produits, l’un présenté comme offrant un rendement annuel de 7 % qui consistait à acquérir des parts de sociétés en participation (SEP), l’autre, éligible au dispositif Girardin industriel, ouvrait droit à une réduction d’impôt lors de la souscription et se matérialisait par l’acquisition de parts de sociétés par actions simplifiées (SAS). En défense, la société a cherché à remettre en cause la capacité d’intervention de l’AMF en faisant valoir, concernant le premier produit, qu’« elle n’a prodigué aucun conseil et que les parts de SEP ne constituent pas un instrument financier ». Elle a adopté un raisonnement similaire pour le produit Girardin en se bornant « à le distribuer sans fournir de conseil ».
… car un conseil est formalisé et l’obligation formelle d’information doit être respectée.
Mais la Commission des sanctions de l’AMF n’a pas retenu ces prétentions. Au sujet du produit Girardin, elle a considéré que les parts de SAS constituent des titres en capital, logiquement assimilés à des instruments financiers au sens de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier (CMF). En revanche, si le produit de rendement de 7 % porte sur l’acquisition de parts de SEP, qui ne figurent pas sur la liste des instruments financiers, il ressort du dossier que les diligences effectuées par le conseiller pour obtenir la souscription de ce produit « sont les mêmes que celles effectuées pour obtenir celle du produit Girardin », à savoir une prestation de conseil accompagnée de recommandations personnalisées. Pour la Commission, en distribuant ces deux produits, Legendre Patrimoine a exercé, respectivement, une activité de conseil en investissement et une « autre activité de conseil en gestion de patrimoine » prévue par l’article L. 541-1 du CMF.
Une fois que la Commission a justifié que l’activité de Legendre Patrimoine est assimilée à du conseil en investissement financier, elle l’a sanctionnée au regard de l’absence de formalisation de l’entrée en relation, de la lettre de mission et des prestations de conseil prodiguées. L’absence d’information sur les montants des frais et des commissions perçus a également été visée.
Des établissements bancaires visés également.
Les distributeurs de produits exotiques, qualifiés de CIF, ne sont pas les seuls à risquer de tomber sous le coup d’une sanction en provenance des services de l’AMF. Le 21 juin 2016, ils ont condamné La Banque Postale (LBP) à verser une amende de 1,5 million d’euros pour insuffisance d’informations concernant la commercialisation d’un fonds à destination de particuliers.
Pour mémoire, à la fin de l’année 2011, l’AMF a attiré l’attention de LBP sur l’évolution très défavorable de la valeur liquidative des fonds Progressio et Progressio 2006, qui avaient connu une baisse de 15 % à 30 % par rapport à la valeur initiale de souscription. En réponse, LBP a mis en place une procédure imposant par exemple à ses conseillers de mettre en garde les clients qui envisageraient de procéder à un rachat anticipé. Mais l’initiative ne s’est pas montrée suffisante aux yeux du superviseur : si, lors de la demande de rachat des parts, LBP était tenue de délivrer à ses clients une information de nature à les éclairer de « façon suffisante » sur les conséquences d’une cession prématurée, alors comment expliquer que, postérieurement à la mise en place de la procédure interne, 502 souscripteurs ont cédé leur participation avant l’échéance, moyennant une perte de 524.000 euros ? Pour la commission, en « omettant de fournir tout ou partie des informations requises, LBP n’a pas permis aux clients de prendre leur décision en connaissance de cause ».
(1) Directive UE 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.