Convention franco-luxembourgeoise

Des ajustements qui changent la donne

Résidence fiscale, retenue à la source sur les dividendes, plus-values de cession, dispositifs anti-abus…
Tout ce que les investisseurs doivent savoir de la convention qui pourrait entrer en vigueur au début de l’année prochaine
Églantine Lioret, avocate, Herbert Smith Freehills, et Sophie Borenstein,  avocate associée, KGA Avocats
DR, Églantine Lioret, avocate associée, Herbert Smith Freehills, et Sophie Borenstein, avocate associée, KGA Avocats

Le 20 mars dernier, à l’occasion d’une visite d’État, le Grand-duché a signé avec la France une nouvelle convention fiscale destinée à remplacer celle en vigueur depuis le 1er avril 1958. En phase avec les standards internationaux – et notamment le projet Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) mené par l’OCDE –, elle reste à être avalisée par les Parlements des deux pays, pour une entrée en vigueur au plus tôt le 1er janvier 2019. Attendu par les juristes, ce nouveau texte intervient un an et demi après la signature d’un quatrième avenant à la précédente convention, fixant pour les sociétés à prépondérance immobilière le principe de l’imposition dans le pays de situation de l’immeuble (L’Agefi Actifs, n°668). Mais si l’objectif est de contribuer à « une sécurité juridique accrue au bénéfice des autorités fiscales et du contribuable », selon le ministère des Finances luxembourgeois, le pays risque d’y perdre quelques-uns de ses atouts.

Résidence fiscale. La modification de la notion de résidence fiscale figure parmi les principales nouveautés du texte. « L’article 4 ajoute au siège de direction effective un critère d’assujettissement effectif à l’impôt dans l’État de résidence », indique Christine Daric, avocate associée chez Franklin. Conséquence : les sociétés ne disposant que d’un siège statutaire en France ou au Luxembourg, et non redevables de l’impôt dans l’un des deux États, ne pourront pas se prévaloir de la convention. « Cela signifie que les SIIC [sociétés d’investissement immobilier cotées] et les OPCI [organismes de placement collectif immobilier], qui sont en principe exonérés d’impôt sur les sociétés, ne pourront pas en bénéficier. La question de la distribution des dividendes est toutefois traitée à l’article 10 », explique Sophie Borenstein, avocate chez KGA. Pour les personnes physiques, la convention se réfère désormais aux critères de foyer d’habitation permanent, de centre des intérêts vitaux, de lieu de séjour habituel et de nationalité. Selon l’ancienne convention, le domicile fiscal des personnes physiques s’entendait du lieu de résidence normal (foyer permanent d’habitation) ou du lieu de séjour principal. La nouvelle donne pourrait aussi impacter les retraités « qui perçoivent une pension et des revenus fonciers en France et n’ont pas, ou ont peu, de revenus au Luxembourg, qui devront faire attention à la notion de “centre des intérêts vitaux” en France », souligne Sophie Borenstein.

Dividendes. Dans son article 10, la nouvelle convention revient sur l’avantage du taux réduit de retenue à la source de 5 % dont pouvaient bénéficier jusqu’alors les foncières françaises ayant un actionnaire luxembourgeois. « En particulier, parmi elles, les OPCI français, les SIIC et leurs filiales détenues par des fonds luxembourgeois », relève Églantine Lioret, avocate associée chez Herbert Smith Freehills. Le texte y substitue un taux de 15 %, à condition que l’actionnaire luxembourgeois détienne moins de 10 %, et exclut totalement du bénéfice du taux réduit de la convention les dividendes distribués par un OPCI français à un actionnaire luxembourgeois qui détiendrait plus de 10 %. Incidence directe : « la perte d’un avantage concurrentiel du Luxembourg en matière de structuration fiscale immobilière en France. Mais le Luxembourg a une tradition de longue date en termes de constitution, d’hébergement et de gestion des sociétés, qui fait que la plupart des grands acteurs de l’industrie immobilière y ont déjà des sociétés avec de la substance », nuance l’experte. Le risque de moindre attractivité est contrebalancé par les outils juridiques particulièrement souples du Grand-duché, par exemple en matière de réglementation des compagnies d’assurances et des fonds. Qui plus est, le texte ne détonne pas dans le paysage : « Désormais, les règles sont les mêmes que les conventions signées avec l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou les États-Unis », indique Pierre Appremont, avocat associé chez Kramer Levin Naftalis & Frankel. Quoi qu’il en soit, « il faudra se structurer de manière différente pour réduire le coût des remontées de dividendes et notamment de la retenue à la source », selon Christine Daric. Quelles fenêtres de tir ? « Pour tenter d’avoir une retenue à la source de 10 ou 15 %, il faudra, soit passer par un autre pays, soit avoir des investisseurs en direct dans un OPCI en France, soit avoir un fonds d’investissement alternatif [FIA] ou UCITS qui investisse dans la Sppicav ; dans ce cas, il y aura une retenue à la source de 15 % », analyse un avocat fiscaliste.

Plus-values de cession. L’article 13 concerne les plus-values de cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière. Pas de surprise : « Il reprend de manière assez proche l’ancienne convention, mais avec une précision sur la période durant laquelle la prépondérance immobilière est appréciée », indique Sophie Borenstein. Il est désomais établi que sont imposables dans l’un des deux États les plus-values tirées de l’aliénation d’actions, de parts ou d’autres droits dans une société, une fiducie ou toute autre institution ou entité « si, à tout moment au cours des 365 jours qui précèdent l’aliénation, ces actions, parts ou autres droits tirent plus de 50 % de leur valeur, directement ou indirectement, de biens immobiliers ». De telle manière qu’« entrent dans le champ de la prépondérance immobilière des sociétés qui ne voulaient pas forcément y entrer, par exemple lorsqu’une société a cédé l’intégralité de ses actifs immobiliers français (seuil supérieur à 50 %) dans les 365 jours précédant la cession de ses propres titres », précise l’avocate.

Impôt sur la fortune immobilière (IFI). L’article 21 de la nouvelle convention, rédigé dans les mêmes termes que la convention actuelle, renvoie à la fortune immobilière définie à l’article 6 de la convention, qui vise les revenus immobiliers. « Il concerne les biens immeubles ainsi que les sociétés immobilières, mais il ne comprend pas, par exemple, le crédit-bail immobilier, explique Églantine Lioret. Alors que l’IFI taxe le crédit-bail immobilier, la convention permettra donc à certains investisseurs de sortir de l’IFI au titre de leurs crédits-baux en France. Pour une personne physique résidente du Luxembourg, cela pourrait être intéressant. » Sur ce point, la mesure avantage plus particulièrement le résident luxembourgeois, qui « ne sera soumis à l’IFI qu’au titre des biens immobiliers situés en France dont il détient la propriété. Mais il ne sera pas imposable au titre de l’immobilier détenu indirectement, via des sociétés, à prépondérance immobilière ou non », note Pierre Appremont.

Clauses anti-abus. Enfin, la nouvelle convention est assortie de nouveaux dispositifs anti-abus. Ainsi, il est notable qu’elle n’entend pas « créer de possibilités de non-imposition ou d’imposition réduite par l’évasion ou la fraude fiscales », est-il inscrit en préambule. « Un standard prévu par la Convention multilatérale OCDE signée en juin dernier par la France et le Luxembourg, et érigée en standard minimum obligatoire », rappelle Émilie Lecomte, avocat senior chez August Debouzy.

Par ailleurs, les articles 10 et 11, relatifs aux dividendes et aux intérêts, font désormais référence à la « notion de “bénéficiaire effectif” [beneficial owner], insérée dans les conventions récentes conformes au modèle OCDE et contribuant à éviter les cas de treaty shopping au profit, notamment, de résidents d’États tiers ».

Autre exemple avec l’article 28, sur le refus d’octroi des avantages conventionnels, qui est « une reprise du Principal Purpose Test [PPT], prévu par la convention modèle OCDE de 2017 et par la Convention multilatérale signée en 2017, pour faire obstacle aux cas de treaty shopping, identifiés par l’OCDE et la France comme étant une des priorités majeures », ajoute l’avocate. Également considérée comme un standard minimum, elle « est potentiellement dangereuse pour les contribuables, car c’est un filet de sécurité, souligne Émilie Lecomte. Cette clause pourrait en effet permettre à l’administration fiscale de remettre en cause, de manière assez large, l’application de la convention à des structurations. Mais également à des conventions, en opposant aux contribuables le fait que l’“un des objets principaux” était l’obtention des avantages conventionnels (test “subjectif”), alors que la preuve contraire (test “objectif”) pourrait être difficile à apporter en pratique par les contribuables compte tenu des termes mêmes de ce nouvel article. » Enfin, le paragraphe 7 du protocole préserve le droit de la France d’appliquer les règles anti-abus de droit interne : notamment, les articles 209 B, 238 A et 123 bis du Code général des impôts.