De la veillée funèbre à la veille successorale

Isabelle Gauthier, ingénieur patrimonial chez BG2C Finances
Une succession incorrectement traitée peut conduire à des milliers d’euros de droits réglés en trop...

« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé », déplorait à raison Lamartine dans son poème L’isolement. Mais cette douleur qui suit la perte d’un proche peut également s’accompagner d’une douleur bien plus prosaïque, patrimoniale cette fois : et si la facture présentée par le notaire en charge de la succession s’avérait plus salée qu’elle ne le devrait ? Pis encore, et si, par le jeu de l’ordre des décès en famille recomposée, un enfant se retrouvait purement et simplement spolié de ses droits successoraux ?

La loi étant la même pour tous, et les notaires, tous officiers ministériels, on a tout lieu de supposer que le règlement de la succession sera exact, et que le résultat sera identique quelle que soit l’étude notariale choisie. C’est sans doute vrai pour les successions simples, modestes dans leur volume, ou essentiellement composées d’actifs immobiliers. En revanche, quand les actifs mobiliers s’invitent plus largement dans l’actif successoral, la pratique notariale trébuche souvent, avec des conséquences pour le moins dommageables pour les héritiers. Une succession incorrectement traitée, ce sont potentiellement des milliers d’euros de droits de succession réglés en trop, et c’est aussi, dans des cas plus rares, l’éviction de certains successibles, qui n’auront finalement jamais reçu la part qui leur était due.

Nous déclinerons ce thème autour de deux variations : l’une, mettant en scène une famille traditionnelle, l’autre, une famille recomposée.

 

Variation n°1 : très chère succession

Monsieur et Madame Garnier, un couple de septuagénaires, sont mariés sous le régime de la communauté universelle, avec clause d’attribution partielle au conjoint survivant. Ils ont un enfant commun, Lucie, sculptrice de renom. Le décès de Madame vient assombrir le bonheur familial. (voir tableau 1)

Les conjoints n’avaient ni l’un ni l’autre d’actifs propres.

En l’espèce, le contrat de mariage des époux Garnier prévoyait que l’époux survivant serait attributaire de la moitié en pleine propriété des biens et droits mobiliers et immobiliers composant la communauté, ainsi que de l’autre moitié en usufruit.

Dès lors, en vertu de cette convention, ne devait être intégrée à la succession que la moitié de la communauté en nue-propriété seulement, et c’est sur cette seule moitié en nue-propriété que devaient s’exercer les droits des héritiers en présence, à savoir Monsieur Garnier, cette fois en qualité d’héritier, en concours avec sa fille Lucie.

Monsieur Garnier fait valoir, sur la succession, son option légale, à savoir le quart en pleine propriété.

Monsieur Garnier étant âgé de 75 ans au jour du décès de son épouse, la valeur de son usufruit est évaluée à 30 %, conformément au barème établi à l’article 669 I du CGI. (voir tableau 2)

Le conjoint survivant étant exonéré de droits depuis la Loi Tepa de 2007, Lucie est seule à devoir acquitter des droits de succession.

N’ayant pas bénéficié de donations au cours des 15 dernières années, la part de Lucie est assujettie au barème des successions après abattement de 100.000 euros, comme suit dans le tableau 3.

Si, en valorisation, Lucie semblait relativement favorisée dans l’absolu (sa part est valorisée à 496.978 euros), elle n’héritait que de droits en nue-propriété, et ne recueillait donc au décès de sa mère aucune liquidité. Fort heureusement, sa situation financière lui permettait d’acquitter ces droits.

Le décès de son père survint quelques années plus tard. M. Garnier ayant une retraite confortable, il n’a pas dépensé les économies qu’avait réalisé le couple. Confinement oblige, il a même poursuivi la tendance.

La succession de M. Garnier comprend les actifs présents dans le tableau 4.

Les droits de Lucie, qui bénéficie à nouveau d’un abattement de 100.000 euros (absence de donation réalisée par son père à son profit au cours des 15 dernières années), s’élèvent cette fois à 460.119 euros.

Peu versée dans les chiffres mais écrasée devant l’ampleur de la somme, d’autant qu’elle avait déjà réglé, Lucie nous confie le soin de vérifier les calculs du notaire.

Et en effet, une erreur, ou plutôt un oubli s’est bien glissé sous la plume du praticien.

Souvenez-vous, au premier décès, nous avions constaté, d’une part, que la succession comprenait à la fois des liquidités, et à la fois des actifs immobiliers, et, d’autre part, que Lucie héritait uniquement de droits en nue-propriété (à raison de 3/8ème du patrimoine total).

Si le démembrement né au décès de sa mère a bien été pris en compte sur la maison, les différents comptes et actifs financiers ont été laissés en l’état, simplement mis au nom du conjoint survivant, sans plus de cérémonie.

Or, en présence de biens consomptibles, c’est-à-dire de biens dont M. Garnier ne pouvait user sans en consommer la substance au premier usage (1), ils auraient dû faire l’objet d’une créance de restitution au titre du quasi-usufruit, une créance qu’il aurait été fort utile de rédiger et d’enregistrer au décès de Madame, afin justement d’éviter de l’oublier au second décès.

En l’occurrence, les droits en nue-propriété de Lucie sur les actifs financiers s’élevaient à ¾ de la moitié intégrée à la succession (soit 3/8èmes du total des actifs financiers compris dans la communauté).

Montant de la créance de restitution due par M. Garnier au profit de sa fille Lucie :

1.128.250 x 3/8 = 423.094 euros, à déduire au passif de la succession de Monsieur.

Ce n’est donc plus 1.518.125 euros mais 1.095.031 euros qui auraient dû être soumis aux droits de succession.

Le montant des droits dus par Lucie au décès de son père aurait donc dû être de 290.881 euros et non de 460.119 euros comme initialement calculé. Le coût de cet oubli, totalement invisible aux yeux des profanes, s’élève donc à la bagatelle de 169.238 euros.

Dans le cas présent, l’omission est grave, elle alourdit considérablement le montant des droits successoraux à régler par la fille unique du couple. Mais en présence d’un enfant non commun, un tel oubli peut aboutir à la spoliation pure et simple de ce dernier.

 

Variation n°2 : la double peine

Imaginons le même cas, mais cette fois au sein d’une famille recomposée. Lucie est issue d’une première union de Madame, qui a ensuite épousé Monsieur Garnier en secondes noces. Au décès de Madame Garnier, comme dans le cas précédent, Lucie doit payer des droits, sans pour autant recevoir aucune liquidité dans la succession, étant exclusivement attributaire en nue-propriété.

Comme précédemment évoqué, le registre de la publicité foncière est mis à jour des nouveaux droits de Lucie sur le bien immobilier, et les actifs financiers sont simplement mis au nom de Monsieur.

Malheureusement, les relations entre Lucie et son beau-père se détériorent peu à peu, au point que ce dernier, qui avait fait un testament en faveur de sa belle-fille, le révoque purement et simplement. Il décède peu après, laissant pour héritiers un frère encore en vie, et deux neveux venus en représentation de sa sœur prédécédée.

Etant seulement la fille de sa défunte épouse, Lucie ne figure pas parmi les héritières légales de Monsieur Garnier, qui ne l’a pas non plus désignée par testament. Lucie n’est donc pas appelée à la succession de son beau-père, succession qui comprend les actifs du tableau 5.

L’actif successoral est équitablement réparti entre son frère (1/2) et ses neveux (1/2) venant en représentation de leur mère précédée, sœur du « de cujus » (2).

On le voit, le problème ici n’est pas tant l’alourdissement des droits de succession portés à la charge de Lucie, puisqu’elle est tout simplement écartée du partage.

Le problème est que ses droits en nue-propriété portant sur les actifs financiers dont elle a hérité au décès de sa maman, et sur lesquels elle a payé des droits de succession, ont tout simplement été « oubliés », pour n’avoir pas été correctement matérialisés lors de la première succession. Dès lors, la succession de son beau-père inclut pour partie des actifs financiers qui ne lui appartiennent pas, puisqu’il en devait restitution à son propre décès.

Comme en dispose joliment l’article 587 du Code civil, « Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution. »

De ce péché originel, l’oubli de la rédaction d’une convention de quasi-usufruit par le notaire au décès de Madame Garnier, naît une véritable spoliation, les possessions de Lucie reçues au décès de sa mère tombant entre les mains des héritiers de son second époux, qui lui sont étrangers.

 

Conclusion

Le sujet est douloureux, la matière peut sembler aride, mais au vu des enjeux, il est crucial de passer de la veillée funèbre à la veille successorale. Le cas que nous avons décrit ci-dessus, tiré d’un cas réel, présente des spécificités qui lui sont propres (communauté universelle avec clause d’attribution partielle au conjoint survivant), mais le point qu’il soulève revêt une portée bien plus vaste : dès lors qu’il y a succession, avec un époux marié en communauté (légale ou universelle) et des liquidités, les conditions sont réunies pour qu’il y ait quasi-usufruit. Et c’est là que se niche probablement le plus grand risque d’erreurs. La deuxième source d’erreur étant le traitement des assurances vie. Mais gardons un peu de matière pour de prochains cas pratiques…

 

(1) clause qui permet au conjoint survivant de se voir attribuer l’intégralité des biens communs.

(2) clause qui permet au conjoint survivant, à l’ouverture de la succession et avant tout partage de la communauté, de prélever un bien commun.