
De la bonne utilisation de la SCI familiale

L’Agefi Actifs - Quels sont les avantages/inconvénients de la mise en SCI de la résidence principale du couple marié ?
Certains couples mariés avec enfants optent pour la mise en société de leur résidence principale sous forme de société civile immobilière (SCI). Cette opération poursuit généralement deux objectifs, parfois complémentaires : optimiser juridiquement et fiscalement la transmission de la résidence aux enfants et éviter au décès du premier époux la naissance d’une indivision ou d’un démembrement de propriété entre le conjoint survivant et les enfants. Le recours à la SCI permet de dissocier la propriété du bien et sa gestion, car les parents transmettent la propriété tout en conservant la gestion de l’immeuble, notamment le droit de le vendre, sous réserve de rédiger les statuts de la société en ce sens. Une telle décision doit être pleinement réfléchie car elle s’accompagne de certains désagréments fiscaux et juridiques.
Quels sont les écueils fiscaux qui peuvent être rencontrés ?
En matière d’impôt sur la fortune immobilière (IFI), la détention indirecte de la résidence principale prive le foyer de l’abattement de 30 % accordé au contribuable qui détient directement son immeuble d’habitation. Elle prive également le conjoint survivant de l’abattement de 20 % déduit de la valorisation de la résidence dans la déclaration de succession au premier décès. En revanche, l’associé qui occupe le logement comme résidence principale bénéficie bien de l’exonération au titre de l’impôt dû sur la plus-value en cas de cession par la SCI de la résidence principale. Il conserve également les avantages fiscaux liés aux dépenses afférentes à l’habitation principale, applicables indépendamment du mode de détention de la résidence principale.
Et les limites juridiques ?
La Cour de cassation a jugé cette année (1) que la règle qui exige le double consentement des époux pour tout acte de disposition (apport, vente, donation, hypothèque...) portant sur le logement servant de résidence principale à la famille ne s’applique pas nécessairement lorsque la résidence principale est logée dans une SCI. Cette règle (2) est applicable quel que soit le régime matrimonial des époux, et donc même s’ils sont mariés sous le régime de la séparation de biens et que la résidence principale est la propriété exclusive de l’un des époux. Elle n’a pourtant pas, dans cette espèce jugée par la Cour de cassation, empêché le mari, en qualité de gérant de la SCI, de pouvoir valablement vendre, de sa seule initiative, la résidence principale qui était logée dans la SCI.
Cette décision révèle, une fois de plus, toute l’attention qui doit être portée à la rédaction des statuts en cas d’apport de la résidence principale à une SCI, et rend nécessaire la conclusion d’une convention conclue entre la société et les époux pour justifier l’occupation gratuite. Déjà dans une autre décision de 2012 (3),
la Cour de cassation avait jugé qu’en cas de divorce, les règles relatives à l’attribution préférentielle ne jouaient pas sur les parts de la SCI propriétaire de la résidence principale, sauf à considérer que la SCI avait pour seul actif social ladite résidence principale. Pour mémoire, ces règles d’attribution permettent à un époux de solliciter l’attribution préférentielle du logement en cas de partage de l’indivision post communautaire. Enfin, une réponse ministérielle (4) énonce que les droits légaux du conjoint survivant sur la résidence principale (droit de jouissance temporaire d’un an et droit viager) ne jouent pas quand la résidence principale est détenue par une SCI. Là encore, seule une rédaction soignée des statuts et la mise en place d’un commodat assurera au conjoint survivant de rester dans les lieux gratuitement au décès de son époux (se).
Quel régime matrimonial s’y prête le plus ?
L’apport en SCI de la résidence principale n’est pas lié à un régime matrimonial en particulier, néanmoins, les objectifs ne seront pas nécessairement les mêmes en fonction du régime retenu. Si les époux sont communs en biens, la SCI peut être un moyen de contourner les règles de pouvoirs des biens issues des règles légales. Par exemple, l’apport dans la SCI familiale d’un appartement reçu par succession par l’époux co-gérant permet à son conjoint lui aussi gérant d’acquérir des pouvoirs de gestion sur le bien, alors pourtant qu’il s’agit d’un bien « propre ».
Les époux séparés de biens peuvent également utiliser la SCI pour disposer de pouvoirs de gestion identiques ou pour régler des créances réciproques et relatives à des dépenses effectuées sur le bien (l’un apporte le bien qui est sa propriété personnelle et l’autre sa créance pour les travaux qu’il a financés sur le bien). En revanche, le simple apport à la SCI de la résidence principale qui appartiendrait à un seul des époux ne permet pas d’effectuer un partage de propriété en faveur du conjoint non propriétaire et d’organiser ainsi un transfert de richesse. Si les époux recherchent à partager la propriété du bien, il faudra alors plutôt réfléchir en substitut ou complément à la SCI à la création d’une société d’acquêts. Une telle solution doit être appréciée en fonction de l’objectif poursuivi et de la composition familiale.
Quels sont les coûts à prévoir pour la mise en place d’une telle opération ?
En moyenne, il faudra débourser entre 1.500 euros à 2.000 euros pour la rédaction des statuts et l’accompagnement d’un conseil, auxquels s’ajouteront les frais d’immatriculation et de publicité légale. Le coût est ensuite susceptible de varier selon que la SCI est constituée avant ou après l’acquisition du bien. Si la SCI est constituée avant l’acquisition et se porte acquéreur, seul le coût de la constitution de la société vient s’ajouter aux frais d’acquisition ; si les clients sont déjà propriétaires et apportent leur bien à une société, il faudra ajouter aux frais précédents le coût d’un acte notarié et celui de la publicité foncière.
Justement, vaut-il mieux acheter et financer le bien via la SCI ? Ou alors doit-il être apporté à la SCI déjà constituée ?
La SCI n’aura, par définition, pas de revenus. Si la société acquiert directement le bien et s’endette pour le financer, l’emprunt sera remboursé via des comptes courants d’associés. D’où la nécessité de tenir rigoureusement une comptabilité même simplifiée, notamment pour faire ressortir l’existence d’un compte courant d’associés et organiser, le cas échéant, leur transmission ou leur remboursement. Les associés doivent également formaliser tous les ans en assemblée générale l’approbation des comptes. Trop souvent les clients oublient ce formalisme pensant qu’il n’est pas requis dans une société familiale. Pour ceux qui choisiraient d’acquérir leur résidence principale et de l’apporter à une SCI, il faut soigneusement mesurer la faisabilité (notamment si un emprunt a été souscrit pour l’acquisition) et le coût de l’opération (en termes de droits d’enregistrement et d’IFI notamment).
Quelles sont les dispositions à prévoir en cas de décès d’un associé ?
Une grande attention devra être portée à la rédaction de la clause relative à la gérance : cogérance, gérance successive sont des pistes de réflexion si l’on veut assurer au survivant le contrôle de la SCI après le premier décès. Il faudra aussi vérifier que la mise à disposition gratuite du logement se poursuivra au bénéfice du conjoint survivant. En présence de comptes courants, il faudra organiser leur transmission ou leur remboursement, tout comme
il conviendra de rédiger minutieusement la clause d’agrément d’un nouvel associé selon la composition familiale et le souhait des associés.
Quid des couples concubinsou pacsés ?
La société civile est un moyen de protéger le concubin et le partenaire pacsé survivant. Au sujet de la résidence principale la loi est soit très discrète (le partenaire pacsé ne dispose que d’un droit temporaire d’un an sur le logement servant de résidence principale et ce droit n’est pas d’ordre public), soit complètement muette (pour les concubins). Dans ces conditions, tout doit être organisé en amont du premier décès. On utilisera alors la SCI en l’associant au démembrement de parts sociales et, le cas échéant, à la clause de tontine pour assurer au survivant le maintien dans les lieux au moindre coût.
Le démembrement est-il une bonne idée ?
Placer la résidence principale dans une SCI dont les parts sont démembrées est la solution pour minorer l’assiette taxable dans le cadre de la transmission de l’immeuble aux enfants. Si les montants en jeu excèdent les abattements disponibles, la détention indirecte de la résidence principale permet de fractionner la transmission et de la réaliser de manière progressive en jouant sur la règle du non rappel fiscal des donations de plus de 15 ans. Mais il faudra bien vérifier que les statuts réservent aux parents usufruitiers le contrôle des décisions prises en assemblées générales.
(1) Cass. civ. 1ère 14 mars 2018,
n° 17-16482.
(2) Prévue par l’article 215 al. 3
du Code civil.
(3) Cass civ. 1ère 24 octobre 2012,
n°11-20075.
(4) RM n° 39324, JOAN 25 janv. 2005.