Compensation en l’absence de réserve : inapplicable ?

La loi confortant les principes de la République prévoit un prélèvement compensatoire dans les successions transfrontalières qui se heurte sur plusieurs obstacles juridiques.
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La pertinence de l’existence de la réserve héréditaire est un éternel débat doctrinal. Ce mécanisme garant d’équité entre les enfants du défunt est loin d’être universel, et est quasiment absent des pays de droit anglo-saxon. Qu’importe pour notre gouvernement qui a décidé d’étendre ce principe à toutes les successions transfrontalières. La loi confortant les principes de la République, promulguée fin août, ajoute un nouvel alinéa à l’article 913 du Code civil au profit des enfants lésés par l’application d’une loi successorale étrangère. Si le défunt ou l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne et y réside habituellement, chaque héritier peut effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens situés en France pour être rétabli dans ses droits réservataires. « C’est une loi politique avec un objectif juridique sans que la mesure des conséquences à sortir un tel texte ait été prise », assène Sophie Lambert, notaire à Antibes. A l’époque de la présentation de la mesure, les pays du Maghreb étaient explicitement ciblés. « La notion de réserve héréditaire existe dans les pays musulmans même si elle est moins importante pour les filles que les garçons, poursuit la notaire. Cette loi ne s’appliquera pas à eux puisque le mécanisme est déjà présent. » Autant pour l’esprit de la loi.

Un devoir de conseil renforcé

La loi renforce le devoir d’information du notaire, qui doit indiquer la possibilité de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible s’il constate une atteinte aux droits réservataires. « Il devra connaître l’étendu de la succession et le nombre d’héritiers. Je ne suis pas certaine que l’héritier avantagé ait envie de communiquer dessus et son conseil sera supposé avoir compétence totale pour régler la succession : il s’assoira probablement sur la loi française », prévient Arlette Darmon.

Un dispositif funambule

Ce n’est pas la première fois qu’un prélèvement compensatoire de ce type existe en droit français. Une loi de 1819 prévoyait un mécanisme similaire, qui a été déclaré, lors d’une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), contraire à la Constitution (1) car méconnaissant le principe d’égalité devant la loi entre héritiers français et étrangers. Le Conseil constitutionnel ne s’est pour le moment pas prononcé sur le nouveau dispositif. La Cour de cassation a indiqué dans deux arrêts, « Jarre » et « Colombier » (2), que la réserve héréditaire ne relève pas de l’ordre public international français. En clair, que sa non-application dans une succession transfrontalière ne contrevient aux principes du droit interne considérés comme essentiels. « Sous réserve que l’héritier ne soit pas dans une situation de besoin et qu’il n’y ait pas de différence de traitement entre homme et femme », précise Arlette Darmon, présidente du réseau notarial Monassier. Le nouveau dispositif marche déjà sur un fil du point de vue du droit interne, mais c’est sans compter sur un règlement européen (3) qui pourrait bien achever de lui faire perdre l’équilibre. « Si auparavant, la succession pouvait être scindée selon différentes lois successorales, une seule et même loi s’applique maintenant sur l’intégralité de la succession », éclaire Arlette Darmon. La règle harmonisée permet au défunt de choisir la loi de sa nationalité selon la règle de la professio juris ; à défaut s’appliquera celle du lieu de résidence habituelle. De manière similaire à la solution dégagée par la Cour de cassation, le règlement s’applique sous réserve de ne pas porter atteinte à l’ordre public international du pays d’origine. Une question se pose donc : la nouvelle disposition doit-elle être considérée comme d’ordre publique ? « On peut déduire du fait que le prélèvement compensatoire soit une possibilité laissé aux héritiers et non une obligation que la disposition n’est pas d’ordre publique, présume Sophie Lambert. Il serait intéressant de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet (CJUE), car l’Union voulait éviter que chaque pays continue de raisonner en fonction de ses propres règles. » Avis aux amateurs.

(1) Décision n°2011-159 du 05/08/2011
(2) 1ère chambre civile, n°16-17-198 et 16-13-151, 27/09/2017
(3) Règlement UE N° 650/2012 du 04/07/2012