Bercy durcit la traque des oligarques

Différentes administrations sont impliquées au sein d'une task-force pour cartographier et geler les avoirs susceptibles de financer la guerre.

«Les sanctions sont plus efficaces que prévues. Le système financier russe est complètement désorganisé : nous avons localisé et gelé le tiers des 630 milliards de dollars d’avoirs de la Banque centrale russe, ce qui explique l’effondrement du rouble de -30% et la conversion forcée des devises étrangères.» Bruno Le Maire ouvre, par ce préambule en forme d’autocongratulation, un briefing presse sur la task-force mise sur pied par Bercy relative aux sanctions contre les cercles du pouvoir russe. Les douanes, la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et celle du Trésor sont mobilisées depuis le 28 février pour appliquer de façon coordonnée les mesures de gel d’actifs financiers ou immobiliers.

Prévenir les assets flights

Tracfin, le service de renseignement chargé de la lutte contre la fraude fiscale, apporte ses compétences techniques et ses ressources en lien avec la direction du Trésor pour appuyer l’action des autres services et s’assurer que les sanctions ne sont pas contournées. «Tracfin a diffusé un appel à vigilance sur le secteur bancaire dès le 27 février pour éviter des mesures d’assets flight, assure Bercy. L’administration a ainsi empêché le départ de France de plus de 4,8 milliards d’euros que la Banque centrale russe voulait rapatrier avant que la mesure de gel n’opère.» Cet appel confirme la responsabilité que ce sont les banques qui, dans le cadre de leurs obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT), sont chargées de faire remonter à Bercy les opérations à risque.

Un concours potentiel à la liste noire

La «liste noire» arrêtée par l’Union européenne comprend à l’heure où nous écrivons ces lignes 510 personnes ou structures concernées par les mesures de rétorsion. La France n’exclut pas d’apporter sa contribution personnelle à cette liste pour s’assurer que les familles des concernés n’aient pas de prise sur les actifs sous sanction. La DGSI, la DGSE et les services de renseignement militaire sont impliqués pour identifier les personnalités qui concourent à l’effort de guerre demandé par le Kremlin et disposant d’actifs susceptibles d’être gelés dans l’Union européenne.

Gel des avoirs et des biens immobiliers

Le gel concerne les avoirs bancaires détenus dans les banques européennes, mais aussi les biens immobiliers en territoire communautaire. Si la location et la vente des propriétés sont interdites, leur jouissance est toujours possible. Cet usus est dans les faits limité puisque les personnes concernées sont à de rares exceptions interdites d’entrée sur le sol européen. Sur le terrain, les acteurs de l’immobilier et notamment les notaires ont pour instruction de bloquer les transactions. «Les parts de SCI peuvent aussi tomber sous le coup d’une mesure de gel», précise Bercy.

Les biens immobiliers ne sont pas les seuls concernés. Ces derniers jours, deux cargos russes ont été «gelés» et un autre saisi par les douanes. Hier encore, un yacht appartenant à une société liée à Igor Setchine, patron du groupe pétrolier russe Rosneft, était immobilisé dans le port de La Ciotat. La marchandise présente sur les embarcations n’est cependant pas concernée par les sanctions.

Une riposte russe à l'étude

Le Trésor, qui cartographie les avoirs gelés, n’a pas souhaité donner de chiffre sur le montant des actifs concernés pour coller avec la «tonalité» du discours d’Emmanuel Macron du 2 mars. «Ce ne sont pas les russes qui sont visés mais les oligarques et les membres de la Douma [chambre basse du Parlement russe NDLR] qui ont voté ou participé à l’intervention militaire», appuie Bercy. Bruno Le Maire a pourtant le 1er mars sur France Info apporté une estimation du montant des avoirs gelés par les alliés à 1.000 milliards de dollars.

La Russie est en train de prévoir sa riposte. Un décret est à l’étude pour introduire des restrictions temporaires à la sortie des investisseurs étrangers des actifs russes.