Fournisseurs / Conseillers indépendants

Une rationalisation des relations difficile à stabiliser

Les rapports entre les producteurs et les intermédiaires se sont tendus depuis la crise financière, la qualité des back-offices et les rémunérations étant au cœur des conflits - La nouvelle formalisation de leurs responsabilités, issue de l’ordonnance du 30 janvier 2009, pourrait permettre une évolution favorable de leurs partenariats.

Alors que leur avenir se joue à Bruxelles avec les révisions des directives MIF et Intermédiation en assurances, les conseils en gestion de patrimoine indépendants (CGPI) doivent aujourd'hui, encore plus qu’hier, composer quotidiennement avec le bon vouloir de leurs fournisseurs. Ils s’interrogent sur l’état et l’évolution possible de leurs relations qui se sont sensiblement dégradées depuis la crise financière et, surtout, la baisse des taux des fonds en euros.

Ainsi, c'est envers les assureurs que les critiques sont les plus vives dans la mesure où les CGPI réalisent plus de 80 % de leur chiffre d’affaires avec eux. Les intermédiaires pointent du doigt le manque de réactivité des services de back-office des compagnies dans la gestion des relations clients, qu’il s’agisse d’une demande d’arbitrage ou d’une opération de rachat, mais également les modifications unilatérales des partenariats. Les banques ne sont pas épargnées non plus et il arrive que certains intermédiaires déplorent leurs pratiques lorsqu'elles prélèvent des frais de souscription sans rétrocéder de commission, justifiant cette position par l'absence de convention de distribution entre la banque et les sociétés de gestion.

Critiques portant sur la baisse des commissions...

Les compagnies d’assurances usent de leur politique de rémunération pour dynamiser, fidéliser ou sanctionner le canal de distribution des indépendants. Récemment, de nouveaux partenariats dans lesquels les taux de commissionnement ont été revus à la baisse ont suivi les dénonciations de conventions commerciales, parfois non motivées. A cette occasion, « le sort des commissions sur les anciens contrats n’est pas évoqué », note Jean-Pierre Rondeau, président de La Compagnie des CGPI, avec d’autres confrères.

Pour l’avocate Dounia Harbouche, si les compagnies comme les CGPI disposent, en principe, de la faculté de résilier le contrat de partenariat qui les lie, « pour autant, rien n’autorise l’un des partenaires à modifier unilatéralement les termes du contrat, notamment la rémunération des encours financiers existant au jour de la rupture ». Elle ajoute que « les associations ou groupements de CGPI, au-delà de leur capacité à négocier des conditions favorables, représentent un volume d’affaires qui doit permettre une meilleure défense des intérêts particuliers de chacun de leurs membres. Au surplus, en cas de difficulté, la résolution amiable du différend aura plus de chances d’aboutir ».

... nuancées par les assureurs.

Les assureurs veulent nuancer, voire contester, ce tableau. Christophe Vanhuyse, directeur du réseau Cardif France, explique qu'« au cours des 20 dernières années, l’évolution des rémunérations de Cardif dans les protocoles est toujours réalisée à l’avantage des distributeurs. Depuis quelques mois, certaines compagnies diminuent leurs taux de rémunération sur le fonds en euros, ce qui n’est pas notre cas ». Chez cet assureur, les relations avec les conseillers indépendants sont organisées par l’intermédiaire de deux protocoles séparés, l’un de partenariat, l’autre de rémunération. Sur ce dernier, des mises à jour sont effectuées régulièrement - une fois par an au minimum - en fonction notamment de l’introduction de nouveaux supports financiers dans les contrats d’assurance vie et de l’évolution des OPCVM rémunérés. Tout le processus de rémunération est normé en tenant compte de la taille des structures et du nombre de partenariats entretenus.

Parmi les autres griefs des CGPI figure aussi le retard pris dans le paiement des commissions depuis 2009. Pour une majorité d'entre eux, cette situation est d’autant plus problématique qu’elle peut atteindre un trimestre au-delà du semestre contractuellement prévu. « Nous avons développé en interne un logiciel de suivi des commissions qui nous permet de constater que, chaque année, entre 3 et 6 % de nos commissions ne sont pas versées », illustre Grégoire Dauge, président du cabinet Alpinia-Finance.

Par ailleurs, une distorsion de concurrence est également reprochée aux fournisseurs qui investissent le canal internet en travaillant en frais zéro.

Fermeture de codes.

« Les partenaires imposent souvent aux CGPI des seuils minimum de chiffre d’affaires, ce qui rend difficile, voire irréalisable, une analyse objective du marché par les conseillers. Dans ces circonstances, il est impossible pour un intermédiaire de travailler avec un nombre important de compagnies », indique Grégoire Dauge. Certains assureurs confirment ces objections : « Nous n’avons pas de politique de fermeture de codes pour les partenaires qui ont une production suffisante. Cette politique s’applique uniquement à ceux qui n’ont pas respecté les règles de la profession, comme la loi antiblanchiment ou l’inscription à l’Orias, explique Christophe Vanhuyse. C’est à nos comités d’agrément, de surveillance et de radiation qu’incombe la responsabilité de rompre la relation. »

Chez Cardif, le comité de suivi siège une fois par mois et trois comités d’agrément se réunissent par semaine. Ces derniers gèrent également les demandes provenant des pôles bancaires et prévoyance. « Sur l’année 2010, nous avons délivré près de 400 agréments en assurance vie (CGPI et courtiers) ». Au sein de la compagnie Swiss Life, la stratégie affichée est différente : « Nous avons estimé raisonnable le délai de trois ans pour résilier les partenariats signés avec les CGPI qui n’avaient pas travaillé avec nous », explique Christophe de Vaublanc, directeur des partenariats et CGPI.

Faculté de renonciation.

Les contentieux relatifs à la faculté de renonciation peuvent avoir des conséquences non négligeables sur la pérennité des revenus des courtiers. Grégoire Dauge souligne que « lorsqu’un client exerce sa faculté de rachat plus de cinq ans après la conclusion du contrat d’assurance vie et que la compagnie y fait droit, contrainte ou non par une décision de justice, elle reprend l’ensemble des commissions versées au courtier sur le contrat sans en avertir celui-ci et sans même souvent que la convention le stipule ».

Selon Dounia Harbouche, « dans le cadre d’une renonciation judiciaire par le souscripteur d’un contrat d’assurance vie, invoquant le non respect par l’assureur des dispositions des articles L. 132-5-1 et suivants du Code des assurances, la tendance jurisprudentielle est de considérer que l’intermédiaire n’ayant commis aucune faute de ce chef, l’assureur n’est pas fondé à reprendre les commissions versées ». Il n’est pas inutile, lorsque cela est négociable, de préciser dans la convention de distribution une clause à cet effet.

Ordres de remplacement.

Lors de la signature des nouvelles conventions de partenariat, certaines compagnies en profitent pour revoir les usages du courtage, dont les ordres de remplacement. Celles-ci prévoient désormais, lorsque le client demande à changer d’intermédiaire, que les courtiers sont tenus de s'entendre sur le règlement des commissions et que, à l’échéance de deux ans, celles-ci reviennent intégralement tant pour les anciens contrats que pour les prochains versements, au nouveau courtier.

Pour Jean-Pierre Rondeau, « cette nouvelle règle a été imposée, notamment par Axa, à tous les CGPI alors que l'assureur n’a pas consulté l’ensemble des associations, s’étant contenté de l’accord de l’UCPI qui ne représente que des groupements, et pas tous ». Il ajoute qu’« une telle règle ne peut être acceptée que si une totale réciprocité est appliquée à l’ensemble des réseaux de distribution, notamment aux banques. Cette mesure a par ailleurs une incidence sur la valorisation de nos cabinets ».

Back-office et lutte antiblanchiment.

Une autre difficulté pour apprécier l’état des relations entre les assureurs et les distributeurs tient en ce que la qualité de l’utilisation de l’outil back-office est régulièrement mise en avant par les fournisseurs alors même que les conditions d’utilisation de ces outils ne font pas l’objet de précisions dans les protocoles d’accord. Le renforcement de la lutte antiblanchiment (LAB) qui est intégrée par ces systèmes est d’ailleurs loin de rationaliser la gestion de la relation clientèle. A ce titre, certains conseillers considèrent que leurs partenaires font preuve d’excès de zèle en matière de LAB, notamment « lorsqu’ils leur demandent de faire remplir une nouvelle fiche de renseignements Tracfin pour un versement complémentaire de 100 euros », rapporte l’un d’eux.

Claude Fouché, président d’honneur de l’Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP), partage cette position : « Une compagnie m’a demandé de faire remplir par un client demandant le rachat de son contrat d’assurance vie souscrit il y a 18 ans un questionnaire de cinq pages où il devait renseigner l’origine des fonds et la motivation de ce rachat. » Plusieurs associations professionnelles ont ou vont interpeller l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) sur ce sujet. C’est le cas de l’ANCDGP qui « souhaite travailler sur ce sujet avec le régulateur, en liaison avec Tracfin, pour prévenir les dérives, notamment lors des désinvestissements sur les contrats d’assurance vie ». Une réunion de concertation est ainsi prévue au cours du mois de mars prochain.

Pour les assureurs, « la réglementation régissant l’activité de gestion de patrimoine est de plus en plus compliquée pour l’ensemble des intervenants », retient Christophe Vanhuyse. La modification du texte du protocole puis la mise à jour avec l’ensemble des partenaires nécessitent en effet un travail pédagogique approprié. « Cette nouvelle règle nous amène à durcir notre approche de la connaissance de nos clients, qu'ils soient nouveaux ou anciens en portefeuille. Nous aidons les CGPI, soumis aux mêmes obligations que les compagnies d'assurances, à appréhender cette démarche afin de recueillir les informations auprès de leurs clients et de respecter la réglementation », explique-t-on chez SwissLife.

Largement intégrés par les professionnels de la banque-assurance, les impératifs associés à la lutte contre le blanchiment ne font pas l’objet d’une appréciation commune par les intervenants sur ce marché. Bruno Confavreux, responsable de la plate-forme Serenalis, prévient : « Actuellement, nous nous efforçons d’obtenir de la part des compagnies un document commun portant sur la connaissance client. En revanche, la mise au point d’une typologie des risques, correspondant aux impératifs de la lutte antiblanchiment, demeure soumise aux critères de chaque assureur. »

Contractualisation du partenariat.

La contractualisation de la relation commerciale permettrait-elle d’assainir les différents cas évoqués précédemment ? Depuis l’ordonnance du 30 janvier 2009 (1), producteurs et distributeurs sont au moins tenus de se mettre d’accord au travers d'un contrat sur l’encadrement de la documentation publicitaire liée aux produits financiers et à l’assurance vie (2). Si les conventions ont toujours existé sous des dénominations variées - convention d’apporteurs d’affaires, de démarchage - elles n’étaient pas systématiques et la responsabilité inhérente aux informations transmises n’était pas fixée. Au mieux, il était prévu que le producteur transmettait la documentation à remettre au client.

Depuis le début de l’année 2010, il est désormais établi que l’assureur doit transmettre à l’intermédiaire, dans le cadre de la convention de distribution formalisant leurs échanges, les informations nécessaires à l’appréciation de l’ensemble des caractéristiques du contrat tant par l’intermédiaire que par la clientèle. Ces informations, qui doivent être tenues systématiquement à jour, sont disponibles sous forme papier ou tout autre support durable.

Néanmoins, comme le souligne un expert, « les seules exigences qui découlent de ces obligations concernent en réalité la promotion et la publicité des documents commerciaux et l’exigence de cohérence vis-à-vis du consommateur mais il n’est pas question d’assainir les rapports entre les intervenants. C’est vraiment la liberté contractuelle qui domine ». Ainsi, la plupart des conventions signées par les CGPI s’apparentent toujours à des contrats d’adhésion.

En matière de défiscalisation, Philippe Glaser, avocat associé chez Taylor Wessing, estime que « les conventions signées entre les monteurs de produits de défiscalisation et les CGPI sont le plus souvent de simples conventions d’apporteur d’affaires, en ce sens qu’elles abordent très peu la responsabilité des parties. En tout état de cause, ces conventions ne sont pas opposables aux investisseurs qui peuvent engager la responsabilité du monteur, étant précisé que le CGPI mis en cause par l’investisseur à la suite de la remise en cause de l’économie d’impôt peut également appeler en garantie le monteur ».

Nouvelle répartition des responsabilités.

L’évolution de la réglementation marque une nouvelle répartition des responsabilités entre l’intermédiaire, qui se voit confier la charge de l’obligation de conseil, et l’assureur qui veille à l’obligation d’information. Les obligations de conseil des assureurs sont ici réduites car ils ne peuvent pas s’immiscer dans les relations du courtier et de son client. « La convention doit apporter davantage de sécurité juridique au distributeur, d’autant plus que les obligations d’information et de conseil mises à sa charge le mettent davantage en risque vis-à-vis du client. Le distributeur pourra se retourner contre son fournisseur si sa responsabilité est recherchée par un client alors que le fournisseur a failli à ses obligations d’information sur les caractéristiques d’un produit financier », résume Anne-Lyse Blin, avocate chez Allen & Overy.

Du chemin reste à faire dans la contractualisation des relations entre fournisseurs et distributeurs et les associations professionnelles ont préféré développer depuis peu des commissions de résolution des litiges. Le médiateur de la Chambre des indépendants du patrimoine (CIP), récemment mis en place, confirme de son côté l’existence de litiges portant sur des clauses de propriété de la clientèle, de conditions de délivrance d’une carte de démarchage, de paiement des commissions ou d’exécution des options. « Les adhérents gagneraient davantage à ce que leurs associations professionnelles prennent le problème en amont en pesant dans la négociation des accords de distributeurs », estime un professionnel.

Contrôle approfondi.

Sur ces points, comme elle l’a annoncé, l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) devrait redoubler de vigilance dans les contrôles effectués chez les assureurs et les intermédiaires. « Nous sommes attentifs à ce que les intermédiaires soumettent bien à la compagnie tous leurs projets de documents publicitaires pour vérifier leur conformité avec les contrats de l’assureur et nous vérifions les conditions dans lesquelles les assureurs mettent à disposition les informations nécessaires », affirme Fabrice Pesin, secrétaire général adjoint de l’ACP. « Au cours de l’été dernier, nous avons demandé à ces acteurs d’enrichir leurs rapports de contrôle interne dans le domaine des pratiques commerciales et nous comptons prochainement en tirer un bilan. Sur le sujet des conventions, nous verrons quelles indications il conviendra d’indiquer plus clairement au regard des premiers retours », poursuit-il.

Conseil de fait.

Cette répartition des responsabilités semble être bien prise en compte par les intermédiaires, à l’image de Serenalis : « Notre plate-forme joue un rôle d’intermédiaire entre le CGPI et les quatre compagnies avec lesquelles nous travaillons. Nous avons d’ailleurs signé un contrat de courtage avec elles aux termes duquel notre responsabilité en qualité de courtier vis-à-vis de la réglementation MIF est bien mise en évidence. Nous avons la charge de répercuter ces différentes contraintes auprès de nos co-courtiers », explique Bruno Confavreux.

Si cette répartition des rôles est théoriquement clairement établie, la pratique est bien loin de respecter cette représentation schématique. « Nos CGP partenaires obtiennent l’information des assureurs mais rien ne nous empêche de fournir des conseils sur une allocation d’actifs même si nous ne sommes plus dans le domaine du courtage mais dans celui du conseiller investissements financiers », concède un responsable. Cette position est d’ailleurs confirmée par Cardif : « Nous avons toujours appuyé nos partenaires dans leur rôle de conseil, adapté aux profils de risques de leurs clients. Notre rôle n’a pas changé depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2009. A titre d’exemple, nous avons une équipe d’experts qui aide le CGP dans ses préconisations. »

Les contentieux à venir relatifs à l’obligation de conseil pourraient présenter de réelles difficultés tant pour les conseillers que pour les assureurs. En effet, le client a tôt fait d’engager la responsabilité des deux intervenants d’autant plus facilement qu’ils ont tendance à se renvoyer la pareille. « Si un défaut de conseil est reproché au distributeur, celui-ci pourrait se retourner contre le producteur au motif qu’il n’a pas été suffisamment formé sur le contrat proposé », prévient Pierre-Grégoire Marly, professeur agrégé des Facultés de droit.

(1) N°2009-106.

(2) Articles L. 132-27-1 du Code des assurances et L. 533-13-1 du Code monétaire et financier.