Assurance vie

Réflexions sur le nantissement et la clause bénéficiaire

Claire Tardy, family officer, Intuitae et Thibaut Egasse, notaire associé, Etude Thibaut Egasse, Rémi Canales, Jean-Baptiste Ferrand et Laurent Lemetti - Finalistes du prix Aurep
L’assurance vie est souvent donnée en nantissement au créancier afin de garantir le remboursement du crédit accordé
Pour maintenir l’attrait de cette solution pour les bénéficiaires, des options de type gage-espèces sont envisageables

 Thibault Egasse, notaire associé, Etude Thibaut Egasse, Rémi Canalès, Jean-Baptiste Ferrand et Laurent Lemetti, 

 Claire Tardy, family officer, Intuitae ; finalistes du prix Aurep

Pour accorder un financement, les établissements bancaires sollicitent des garanties qui leur permettent de se prémunir d’un éventuel défaut de paiement. Pour le banquier, le nantissement d’un contrat d’assurance vie est simple à mettre en œuvre et facile à mobiliser en cas de défaut de remboursement. Du point de vue de l’emprunteur, cette option est moins coûteuse qu’une garantie réelle sur un bien et permet dans le contexte des taux bas actuels de bénéficier d’un effet de levier financier. C’est le cas lorsque les sommes prises en garantie sont rémunérées à un taux supérieur au taux d’emprunt. Si les atouts d’une telle solution sont réels, il est indispensable pour le créancier de sécuriser la valeur de la créance nantie en évitant sa disparition ou sa diminution.

Modification de la clause bénéficiaire. La principale précaution à prendre a trait au risque de dénouement du contrat pour cause de décès avant l’échéance de la créance nantie. Le créancier court alors le risque de voir le bénéficiaire encaisser le montant de la créance et le dépenser, faisant ainsi disparaître la garantie. La pratique avait imaginé un mécanisme de suspension de la clause bénéficiaire jusqu’au complet paiement du prêt. Une pratique qui a été abandonnée depuis. Le cas de figure le plus fréquemment rencontré aujourd’hui est la désignation du créancier en qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance vie à concurrence de la créance due. Le surplus est acquis par les autres bénéficiaires désignés par le souscripteur. Mais la modification de la clause bénéficiaire au profit de l’établissement prêteur à hauteur des sommes dues peut avoir un impact financier défavorable en cas de décès du souscripteur : les bénéficiaires sont privés de capitaux qui auraient pu être transmis dans le cadre fiscal avantageux de l’assurance vie et la succession ne profite pas d’un passif, celui-ci étant remboursé automatiquement. Les héritiers voient donc leurs droits de mutation à titre gratuit alourdis comparativement à un autre type de garantie.

Introduire une condition. Pour contourner cette difficulté, tout en conciliant les intérêts du créancier, de l’emprunteur et des héritiers de ce dernier, il est possible de rédiger une clause bénéficiaire au profit des héritiers sous condition de remboursement du crédit objet du nantissement. Pour sécuriser le schéma, le capital versé au dénouement du contrat doit être versé sur un compte bloqué sous forme de séquestre ou de gage espèces jusqu’au remboursement de la créance.

Des risques à pointer. Si cette solution est fiable et intéressante pour l’ensemble des parties, pourquoi n’est-elle que très rarement proposée et encore moins souvent mise en œuvre ? Il est évident que le créancier a tout intérêt à privilégier une solution lui permettant d’être remboursé immédiatement au décès de l’assuré. Mais au-delà de cet argument très pragmatique privilégiant les intérêts du créancier avant celui du client, le principal obstacle réside en fait dans la crainte que ce schéma avec gage-espèces puisse être attaqué par l’administration sur le terrain de l’abus de droit fiscal et qu’une action en responsabilité soit formulée à l’encontre du conseiller qui l’aura préconisée. Les services du fisc pourraient en effet considérer, comparativement au schéma classique, que le versement des capitaux aux bénéficiaires et la constitution du gage-espèces n’aurait pour autre motif que de pouvoir créer un passif sur la succession venant diminuer la base taxable aux droits de mutation à titre gratuit tout en transmettant des capitaux décès à moindre coût.

Une analyse au cas par cas. L’intérêt du schéma que nous avons présenté serait-il exclusivement fiscal ? N’y aurait-il pas un intérêt juridique ou financier à mettre en œuvre la solution proposée ? Aujourd’hui les établissements financiers sont réticents à mettre en œuvre cette solution en raison de ce risque d’abus de droit fiscal. S’il est évident que l’intérêt de la rédaction d’une clause au profit des bénéficiaires avec constitution d’un gage-espèce doit s’analyser au cas par cas, il nous semble que la solution ne doit pas être écartée systématiquement.
Tout d’abord, la déductibilité du passif lors de la succession ne nous semble pas être un argument décisif car elle n’est pas remise en cause en cas de support de garantie autre que l’assurance vie. Ensuite, sur le plan juridique, il parait surprenant de vouloir faire supporter systématiquement le passif successoral, c’est-à-dire le remboursement du financement, aux bénéficiaires du contrat d’assurance vie alors même qu’ils ne sont pas forcément héritiers du bien objet du financement. Cela viendrait à désavantager les bénéficiaires du contrat, ou à avantager les héritiers, si ceux-ci sont différents ou si les proportions attribuées sont différentes. Sur le plan financier, l’aménagement de la clause bénéficiaire permet de laisser le choix de la modalité de remboursement aux bénéficiaires. Si les taux d’intérêt du crédit sont bas, ou si les bénéficiaires qui sont par ailleurs héritiers souhaitent conserver une partie des liquidités, il peut être intéressant pour eux d’avoir recours à un financement pour rembourser le passif de succession. De même, dans le cas d’un financement accordé à une société, l’obligation de remboursement du prêt au décès de l’associé caution ne parait pas opportun, voire même défavorable, car la société ne disparait pas. Il faudrait alors coupler l’aménagement de la clause bénéficiaire à un aménagement du contrat de prêt de manière à prévoir que le décès de l’associé ne soit pas une cause d’exigibilité anticipée. Concernant l’éventuel avantage fiscal lié au choix de la clause bénéficiaire au profit des héritiers avec constitution d’un gage-espèces, celui-ci est aléatoire dans le cas d’un financement au moyen d’un prêt amortissable : plus le temps passe et plus la fiscalité sur la succession tend vers le même résultat. Enfin, aujourd’hui la question de l’abus de droit fiscal se pose uniquement parce que l’assurance vie bénéficie d’un régime fiscal pour la transmission, dans certains cas, particulièrement favorable. Si la fiscalité successorale venait à s’adoucir, et/ou le traitement fiscal de l’assurance vie à se durcir, le risque serait très certainement écarté et la clause bénéficiaire avec constitution d’un gage-espèces deviendrait une évidence patrimoniale.

Quelle intervention pour le CGP ? Si l’abus de droit fiscal peut être écarté dans certaines circonstances, jusqu’où le conseil habituel de l’emprunteur/caution doit-il intervenir dans ce type de préconisation ? En tout premier lieu, dans le cadre d’un investissement avec recours au financement, les conséquences successorales de la garantie choisie devraient à notre avis être abordées. Cela relève du devoir d’information. Ce devoir est une obligation de renseignement sur l’objet, les conditions de succès et les risques potentiels de l’opération envisagée pour permettre au client de choisir en toute connaissance de cause. Cette information peut intervenir lors de la mise en place de l’investissement, ou a posteriori à l’occasion d’un audit de situation. Le devoir de conseil vise quant à lui l’opportunité de la décision. La connaissance de la situation patrimoniale du client est donc nécessaire pour répondre à cette obligation et le conseil, formalisé par un écrit, doit être argumenté. Si le conseil en gestion de patrimoine souhaite présenter et conseiller la solution que nous avons développée parce que celle-ci présente un intérêt juridique ou financier (et pas exclusivement fiscal) sur la transmission en cas de décès de l’emprunteur/caution en cours de remboursement, il devra étayer son conseil par de solides arguments. Sa responsabilité pourrait être engagée par les héritiers/bénéficiaires en cas de contestation du schéma par l’administration fiscale.

Causalité. A contrario, nous pourrions imaginer que des héritiers lésés par le schéma de prise de garantie classique établissent un manquement du conseiller à ses obligations et reprochent que la solution du gage-espèces, dont nous savons que son efficacité peut être démontrée, ait été écartée alors même qu’elle aurait été mieux adaptée. Ils s’attacheraient alors à démontrer qu’il y a eu une faute, qu’il existe un préjudice certain, direct et personnel (perte subie ou gain manqué) et à établir un lien de causalité entre le préjudice allégué et la faute invoquée. Pour conclure, outre l’éthique qui doit guider tout professionnel du patrimoine dans son intervention, il convient d’être particulièrement vigilant à tout niveau quant à l’information et au conseil donné à l’emprunteur/caution. En effet, cela pourrait conduire, compte tenu de ce qui a été exposé ci-dessus, soit à engager la responsabilité du conseil qui n’aurait pas totalement évalué les risques fiscaux liés à la mise en œuvre d’une solution originale, soit, en s’abstenant de présenter une solution solide et peu coûteuse et dont les risques fiscaux ne sauraient être avérés, à priver les héritiers d’une partie du patrimoine transmis.