
Pour les acteurs, le risque de réputation n’est pas écarté

Après Cardif Assurance Vie, CNP Assurances et Allianz Vie en 2014, Groupama GAN Vie est le premier assureur sanctionné en 2015 pour avoir enfreint les règles relatives à la recherche des bénéficiaires de contrats d’assurance vie non réglés. Pour prononcer à son encontre une sanction de trois millions d’euros, qui se révèle la plus faible pénalité jusqu’à présent, la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) s’est basée sur un périmètre de faits reprochés plus restreint que celui examiné dans les affaires précédentes. Il ressort de ce dossier que la compagnie n’a pas totalement respecté la mise en demeure de se conformer à l’article L. 132-9-3 du Code des assurances qui vise la consultation du RNIPP, le fichier des personnes décédées de l’Insee.
Alors que cette disposition ne prévoit aucune distinction selon l’âge des assurés ou la nature des contrats d’assurance vie, l’assureur a, entre autres, exclu les contrats temporaires décès du champ d’identification des assurés décédés.
La formalisation d’offres commerciales.
Face aux enjeux disciplinaires, commerciaux et de réputation que portent ces condamnations, la Place s’est organisée en s’attachant les services de généalogistes et de cabinets d’enquêteurs privés. Au début du mois de juillet 2015, l’Association française de l’assurance (AFA) a formalisé ces partenariats dans une version révisée des engagements déontologiques de la profession.
Il est désormais question pour les compagnies d’assurances de demander une série de renseignements aux enquêteurs privés tenant entre autres à leur agrément, leur autorisation d’exercice, leur carte professionnelle, ainsi que l’attestation d’assurance couvrant leur responsabilité professionnelle. Ils doivent également mentionner dans leurs contrats de prestations le principe de non-facturation des frais de recherches aux bénéficiaires.
De la fiabilisation des données clients…
Une série de services est proposée par ces partenaires dont la plupart se sont positionnés sur le créneau porteur de la fiabilisation des informations qui portent sur les assurés et les bénéficiaires.
Dans la pratique, cette tâche est primordiale. En février 2015, le Gouverneur de la Banque de France a rappelé que, pour un assureur, soumettre au RNIPP des fichiers comportant des informations incomplètes ou erronées ne permet pas de recoupement avec les fichiers de l’Insee. De son côté, le Sénat a souligné dans un rapport d’avril 2014 que « sur de nombreux contrats, souvent anciens, figure le seul nom marital de l’assurée ou de la bénéficiaire, alors que le RNIPP ne comporte que les noms patronymiques ».
Pour améliorer la qualité des données clientèles, la société de généalogie Coutot-Roehrig met à la disposition des compagnies d’assurances une base composée en partie d’archives départementales numérisées et indexées. La première formule proposée par le généalogiste consiste en une vérification, un enrichissement et un « nettoyage » des informations contenues dans les portefeuilles clients des assureurs. « Des centaines de milliers de lignes – qui correspondent à autant de contrats – nous ont déjà été confiées, explique Paul Lauriau, généalogiste chez Coutot-Roehrig. Un assureur a même décidé de nous transmettre trois millions de lignes. Il anticipe clairement l’avenir pour disposer du fichier le plus propre possible. »
Cet important travail d’actualisation des bases de données est également effectué du côté de la société de conseil Excellcium. « Nous avons réceptionné 175.000 lignes ces dernières semaines et nous en attendons encore 200.000 dans le courant du mois d’août », confirme Pierre-Alexandre Rocoffort de Vinnière, son président. La demande est telle que « certains assureurs qui nous ont sollicité doivent se résoudre à attendre de nouvelles attributions de crédits pour continuer leur démarche ».
Concrètement, comment sont organisées les recherches ? « De manière générale, tout va dépendre de l’urgence des interlocuteurs, expose le président d’Excellcium. Notre devis est remis à la direction générale qui confie une partie des recherches à ses équipes en interne et nous oriente les cas les plus spécifiques portant sur les capitaux les plus importants ou les assurés centenaires. » En pratique, l’assureur sélectionne son partenaire en fonction du taux de réussite affiché à un appel d’offres portant sur un fichier test. Si les compagnies partagent toutes la même réflexion, leur approche est très différente, la gestion des affaires associées à la déshérence revenant « aux directions des pôles juridique, de la conformité ou en charge de la clientèle », précise-t-il. Pour se démarquer des autres généalogistes, la société Excellcium annonce avoir noué des partenariats « avec des petites études de généalogie partout en France afin de structurer une offre ».
Pour mémoire, la lourde mise à jour de leurs fichiers clients permet aux assureurs de se conformer à plusieurs niveaux de réglementation. Les compagnies prennent en compte la loi Eckert du 13 juin 2014 dédiée au traitement des contrats d’assurance vie en déshérence et aux comptes bancaires non réclamés, dont l’entrée en vigueur fixée au 1er janvier 2016 les obligera à jouer le jeu de la transparence (L’Agefi Actifs n°650, p. 20). Par ailleurs, à compter de cette date, elles pourront alimenter le fichier à la main de l’administration fiscale des souscripteurs de contrats d’assurance vie (Ficovie), un outil centralisé détaillant les sommes investies par les contribuables (L’Agefi Actifs n°652, p. 20). La connaissance actualisée des clients est également une garantie supplémentaire dont les assureurs peuvent se prévaloir en cas de contrôle du régulateur sur le terrain de lutte contre le blanchiment. Les récentes décisions de la commission des sanctions de l’ACPR visant la Mutuelle d’Ivry-la Fraternelle (MIF) (L’Agefi Actifs n°656, p. 20) et concernant Générali Vie en témoignent.
… à la localisation et à l’identification des bénéficiaires.
En plus de la consolidation des fichiers, un autre pan de l’activité consiste à localiser ces bénéficiaires. « Moins onéreuse, cette opération est généralement répartie entre différents acteurs généalogistes et enquêteurs privés, avance Paul Lauriau. Nous en sommes actuellement à près de 1.500 localisations par mois et entre 150, voire 200, identifications de bénéficiaires dans le cadre des fichiers généalogie qui nous conduisent à entamer des recherches concernant ces bénéficiaires. »
En pratique, de nouvelles difficultés surgissent pour identifier les bénéficiaires. Dans le cas des clauses nominatives, par exemple, Laurent Dubost, secrétaire général de CRD, une société de généalogie successorale, confirme que « l’identification des épouses est plus compliquée car on ne peut les retrouver que par leur nom de jeune fille alors que bien souvent la clause bénéficiaire ne distingue pas entre celui-ci et le nom marital ». CRD, qui annonce collaborer avec une dizaine de compagnies, conclut chaque mois « 200 dossiers, toutes clauses confondues (standard et nominatives) » et précise être amené à gérer plus de 2.000 dossiers en 2015. Un niveau d’activité de nature à justifier de nouvelles embauches en janvier 2016 destinées à prêter main-forte aux sept chargés de recherches qu’emploie la société.
Toujours pas de détail sur le montant des actifs concernés.
En dépit des quelques chiffres d’identifications avancés, il est impossible pour l’heure d’obtenir une vision claire du nombre de contrats et des montants concernés par la déshérence. « La plupart du temps, il ne s’agit que de consolider les bases clientèles des assureurs et on ne connaît pas les montants », reconnaît Pierre-Alexandre Rocoffort de Vinnière.
Il est annoncé que la remise par l’ACPR d’un rapport au Parlement, prévue au 1er mai 2016, soit de nature à clarifier la situation. La loi Eckert rend obligatoire la publication annuelle par les assureurs du nombre et de l’encours des contrats non réglés, les démarches effectuées et les montants versés aux bénéficiaires. Mais comment le régulateur distinguera-t-il les compagnies proactives de celles ayant adopté des dispositifs de contrôle a minima ? La question reste posée.
En attendant, certains indices permettent de deviner l’ampleur du phénomène. Pour preuve, sur son site internet, CGT Axa évoque le fait que le programme O’Connor, abréviation pour « Objectifs contrats non réclamés », mis en place par Axa France pour encourager la recherche des bénéficiaires en interne, est maintenu jusqu’en janvier 2016 et non pas jusqu’au 30 juin 2015 comme il avait pu être annoncé. Par ailleurs, sur le terrain, certains acteurs font leur compte : « En fonction des compagnies, nous obtenons une moyenne de 2,36 à 2,52 bénéficiaires par contrat, fait valoir Laurent Dubost. CRD a traité plus de 15.000 dossiers depuis sa création en 2006, soit 35.000 bénéficiaires retrouvés auxquels près de 250 millions d’euros ont été versés. Les capitaux moyens par contrat d’assurance vie sont de 20.000 euros. »
Un flou entretenu sur la revalorisation des sommes versées.
Une autre question porte sur la revalorisation appliquée par les assureurs aux sommes versées aux bénéficiaires une fois retrouvés. Pour l’enquêteur privé François-Xavier du Besset, qui intervient aux côtés des associations caritatives, « il est question d’être vigilant sur le fait que la plupart des assureurs vont être tentés de régler des capitaux à ces associations en retenant l’année du décès de l’assuré comme date de référence mais sans tenir compte d’une quelconque revalorisation ni des intérêts de retard depuis la date du décès ».
Pour rappel, en la matière, le Code des assurances était silencieux sur la revalorisation des encours concernés jusqu’à la première loi du 17 décembre 2007 relative à la recherche des bénéficiaires des contrats d’assurance vie non réclamés qui avait imposé l’indication dans les contrats d’une clause de revalorisation des capitaux décès, en laissant le taux de revalorisation à la discrétion de l’assureur. La loi Eckert de 2014 a prévu que pour les décès postérieurs au 1er janvier 2016, cette revalorisation ne pourra pas être inférieure à un taux fixé par décret en Conseil d’Etat. Le plafonnement des frais prélevés par l’assureur après la date de connaissance du décès de l’assuré doit aussi faire l’objet d’un décret.
Des moyens supplémentaires chez CNP Assurances.
Dans leur ensemble, les compagnies d’assurances ont décidé d’allouer des moyens humains et financiers supplémentaires pour en finir avec ce dossier de la déshérence. C’est le cas notamment de CNP Assurances, la seule parmi les quatre compagnies sanctionnées par l’ACPR que nous avons sollicitées à communiquer des éléments nouveaux, mais concernant seulement le cas des capitaux non réclamés pour tous les décès antérieurs à 2007.
Il faut dire que l’enjeu est important, l’assureur reconnaissant lui-même que « le stock de contrats non réclamés était proportionnel à son ancienneté et à sa place de numéro un de l’assurance de personnes en France ». CNP Assurances annonce qu’au 31 décembre 2015, les ressources mises en œuvre « devraient nous permettre d’avoir pris en charge les dossiers concernant les capitaux non réclamés pour tous les décès antérieurs à 2007 ». CNP Assurances précise également que le portefeuille de contrats « grand public » a été passé au crible du RNIPP qui permet d’identifier les souscripteurs décédés. La compagnie ajoute qu’elle recourt « systématiquement » à deux sociétés d’enquêteurs agréées pour retrouver les bénéficiaires de capitaux non réclamés. Elle a par ailleurs porté de 60 à 114 le nombre de personnes en charge du traitement des contrats antérieurs à 2007 entre novembre 2014 et le début de l’année 2015.
Enfin, elle annonce que pour les contrats dont l’assuré a plus de cent ans, « nous avons mis en place un dispositif de recherche systématique afin de retrouver les bénéficiaires des contrats des personnes décédées si tel est le cas ». Pour éviter la constitution de nouveaux stocks de contrats d’assurance vie non réclamés, « nous avons mis en place des actions préventives comme la sensibilisation des réseaux et des clients à une rédaction précise de la clause bénéficiaire ».
Une prise de conscience progressive des banques.
Jusqu’à présent relativement discrets malgré le constat dressé par la Cour des comptes en juin 2013 pointant du doigt le nombre de comptes bancaires détenus par des centenaires, certains établissements bancaires ont pris la mesure des enjeux de la loi Eckert.
Une prise de conscience d’autant plus bienvenue que, entre autres, le rapport 2014 de l’Observatoire de l’épargne réglementée a identifié que les encours détenus sur des Livrets A inférieurs à 150 euros et inactifs depuis un an représentaient à eux seuls 350 millions d’euros. Les montants en jeu justifient d’ailleurs que certains acteurs prennent date avec des généalogistes et des enquêteurs privés. « Nous avons réalisé des essais avec une structure bancaire qui s’interroge encore sur le modèle à suivre compte tenu des volumes à traiter et du coût financier qu’une telle opération va représenter », explique Paul Lauriau. « La période 2016-2017 devrait être marquée par une hausse des sollicitations en provenance des banques », confirme Laurent Dubost.
Le travail entrepris sera-t-il suffisant pour venir à bout des contrats non réglés et des comptes bancaires en déshérence ? Tel n’est pas le point de vue d’un responsable d’archives généalogiques qui regrette que la loi Eckert n’ait pas fixé d’obligation de résultat à la charge des assureurs. « Malheureusement pour les bénéficiaires, c’est la compagnie qui doit supporter le coût des recherches des bénéficiaires d’assurance vie, ce qui n’est pas le cas des comptes bancaires où le capital versé aux héritiers pourra être grevé. » Pour rappel, en matière d’assurance vie, l’ACPR a entendu couper court, par une position publiée en 2014, à certaines pratiques des assureurs sur l’imputation des frais de recherche aux bénéficiaires.