Directive sur la distribution d’assurance

Modifications majeures en préparation

A côté de la mise en œuvre du règlement Priip, reportée, la Place travaille à la transposition de la directive sur la distribution d’assurance
Les enjeux sont de taille pour les acteurs présents sur les secteurs de la non-vie. En assurance vie, les relations producteurs-distributeurs sont visées
eiopa.europa.eu/, Siège de l'autorité européenne des assurances (EIOPA) à Francfort.

Directive MIF II, règlement Priip, directive DDA. Il ne faudra pas moins de trois textes à l’Union européenne pour tenter de rendre plus homogènes la conception et la distribution des produits d’épargne en Europe. Sur le terrain, force est de constater que l’intégration de ce nouveau corpus a déjà eu des répercussions considérables pour les producteurs et les intermédiaires. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer, avec quatre ans de recul, les changements induits outre-Manche par la Retail distribution review (RDR) où les pouvoirs publics ont anticipé les normes MIF II (L’Agefi Actifs, n°685, p. 10).

Un report de Priip confirmé.

En raison du poids que représente l’assurance vie dans la distribution des produits financiers en France, les acteurs hexagonaux demeurent suspendus, entre autres, aux modalités d’application du règlement Priip qui porte sur un vaste chantier d’élaboration du document d’information clef (DIC) (L’Agefi Actifs, n°676, p. 19). Si les craintes portant sur l’entrée en vigueur de ce texte au 31 décembre 2016 s’éloignent en raison du vote de sanction du Parlement européen (L’Agefi Actifs, n°683, p. 22), sa date d’application demeure en suspens. De son côté, la Commission européenne maintient la pression en témoignant de son intention de publier de nouvelles normes techniques de réglementation (NTR) d’ici à la fin de l’année. « Il est important que la législation entre en vigueur aussitôt que possible », confirme Vanessa Mock, une porte-parole de la Commission européenne. Pour atteindre cet objectif, il est annoncé que la Commission et les autorités de surveillance européennes « sont en train de travailler avec les co-législateurs pour trouver une solution appropriée aux préoccupations soulevées par le Parlement ». Différents experts misent, quant à eux, sur un report de l’application effective de Priip de six mois à un an, ce qui devrait d’ailleurs conduire à la livraison de l’ensemble du paquet réglementaire (MIF II, DDA et Priip compris) au début de l’année 2018.

L’intervention sous surveillance de l’EIOPA sur la DDA.

Le monde de l’assurance est tenu également d’assimiler la directive sur la distribution d’assurance (DDA), couramment désignée IDD, en voie de transposition et dont l’application est fixée au 23 février 2018 au plus tard (L’Agefi Actifs, n°657, p. 17). L’Autorité européenne des assurances (EIOPA) a d’ailleurs récemment consulté la Place dans la perspective de la publication des actes délégués portant notamment sur les conflits d’intérêts, la rémunération par des tiers (lire p. 20) ainsi que sur la gouvernance et la surveillance des produits, désignées sous le terme « Product oversight and governance » (POG). Ces échanges ont d’ailleurs débuté au mois d’avril dernier avec la publication de guidelines préparatoires. A cette occasion, l’Association française de l’assurance (AFA), désignée Fédération depuis le 1er juillet 2016 (FFA), n’a pas manqué d’appeler à la vigilance. Il est notamment reproché au superviseur européen d’avoir pris de court ses partenaires en publiant ses travaux préparatoires – à savoir des mesures de niveau III – bien avant la Commission en charge des actes délégués de niveau II. Or, une telle initiative est de nature à constituer « un précédent inquiétant », souligne l’AFA dans une note interne. D’autant plus qu’il n’est pas exclu que ces guidelines soient révisées après adoption des actes délégués.

La notion de marché cible en première ligne.

L’article 25 de la DDA qui charge les concepteurs de définir un marché cible pour chacun de ses produits focalise particulièrement l’attention. En effet, l’EIOPA a proposé différents critères pour définir cette zone de distribution qui tiennent entre autres à la connaissance et à la compréhension de la complexité du produit mais aussi au niveau de risques attaché aux produits. Le superviseur européen a également demandé que les producteurs identifient un groupe de clients hors cible. Face à ce projet, les assureurs français s’interrogent : dès lors que ces préconisations vont au-delà du texte prévu par la DDA, ne vaudrait-il pas mieux les voir supprimer, et ce même si la définition « négative » de la clientèle cible n’est requise que lorsqu’elle est pertinente ? En effet, la commercialisation d’un produit en dehors du marché cible n’est pas exempte de risque. Il est notamment pointé dans le document interne de l’association que cette situation est de nature à conduire à « une présomption quasi irréfragable de responsabilité » du distributeur vis-à-vis du client. Si l’intermédiaire dispose de la faculté de proposer un produit à une clientèle hors cible, de manière « exceptionnelle », cette faculté conduirait « à faire prévaloir le critère de la clientèle cible sur celui du devoir de conseil ».

Pour David Villard et Eric Vernhes, associés chez Aurexia, « les assureurs disposeront toujours de la faculté de limiter la commercialisation d’un type de produit à une cible particulière en cohérence avec le marché cible défini dans le cadre de la gouvernance produit. Il reviendra en revanche aux clients de prendre leurs responsabilités dès lors que l’assureur remplit ses obligations liées au devoir de conseil et que la relation commerciale donne lieu à un suivi dans la durée pouvant se matérialiser par des alertes clients par exemple ». En pratique, cette initiative doit se traduire par « une nécessaire révision de la stratégie de distribution, accompagnée par une rationalisation de la gamme des produits notamment vis-à-vis des intermédiaires jusqu’à présents ouverts à de multiples partenariats, indiquent ces experts. A terme, la stratégie de distribution devrait mettre en exergue l’expertise et la valeur ajoutée dans les agences physiques et recentrer la distribution des produits standards via les canaux digitaux/web ».

Reste que sur le terrain de la distribution de produits d’assurance vie, la pertinence de la mesure suscite des réactions. « La notion de marché cible n’était pas nécessaire pour le marché français d’assurance vie dès lors qu’il y a des exigences d’information précontractuelle et un devoir de conseil obligatoire dans le temps, explique Pauline de Chatillon, directrice associée d'EY, en charge de la réglementation protection de la clientèle. D’ailleurs, le régulateur français est clair sur ce point : on peut vendre en dehors du marché cible. Selon nous, il ne faut pas surestimer le poids de cette contrainte posée par la directive DDA. »

La responsabilité finale du concepteur en jeu.

Pour l’heure, il ressort de l’avancement des différents travaux de transposition élaborés par l’EIOPA que les producteurs ont l’obligation de surveiller que le produit est bien distribué à la clientèle cible. Ils sont tenus de s’assurer que les distributeurs délivrent l’information adéquate aux clients, en procédant par exemple par sondage afin de s’assurer qu’ils figurent bien dans la population de clientèle visée. Consultés sur le sujet, les assureurs ont fait valoir que leur rôle se limite à donner à leurs partenaires toute l’information requise sur la clientèle cible. Il est souligné dans le document de la FFA qu’il ne leur revient pas de « surveiller, qui plus est de façon continue », que le produit est bien distribué à vers sa destination. Pour les compagnies, le risque de porter « la responsabilité finale de l’activité de commercialisation même en cas de vente intermédiée » n’est pas à exclure.

Reste à savoir si cet argument sera entendu par l’EIOPA. A l’occasion de la consultation sur le projet d’avis technique sur les actes délégués qui a couru jusqu’au début du mois d’octobre, l’autorité européenne a repris ses guidelines préparatoires sur ce point en précisant que le concepteur devrait sélectionner des canaux de distribution appropriés pour le marché cible compte tenu des caractéristiques particulières du produit. Ce qui reviendrait à introduire un contrôle du courtier par l’assureur sur l’activité même de commercialisation, sanctionnée par l’arrêt des relations commerciales dès lors qu’il est avéré que l’intermédiaire ne suit pas ses objectifs de gouvernance et de surveillance.

L’éventualité de la requalification du distributeur.

A l’occasion de sa consultation sur les actes délégués, il est des sujets où l’EIOPA est allée plus loin que ses précédentes guidelines préparatoires. Il est ainsi rapporté le cas de contrats sur mesure présentés par un intermédiaire après la réalisation d’un cahier des charges avec le client qui entrent dans le champ de la gouvernance des produits. Dans ce cadre, existe-t-il un risque pour le conseiller en gestion de patrimoine (CGP) qui distribue des contrats en architecture ouverte composés de différents mandats d’arbitrage d’être assimilé à un concepteur ? Qu’en est-il des distributeurs français de solutions luxembourgeoises basés sur des fonds d’assurances spécialisés dont le principe repose sur une composition sur mesure et une gestion à la main du souscripteur ?

Une formalisation des procédures de distribution.

A ce stade, la transposition de la directive DDA fait l’objet d’échanges soutenus entre l’EIOPA et les acteurs nationaux. Par exemple, ces derniers ont à nouveau donné de la voix pour faire valoir que le superviseur européen va « bien au-delà de ce que prévoit la directive en demandant à l’intermédiaire de se doter de procédures internes pour examiner l’éventail de produits qu’il entend distribuer ».

Des évolutions en matière de formations à la demande de la Place.

Pour les distributeurs, la DDA a également une incidence sur le niveau de capacité professionnelle exigé. De source interne, les assureurs français considèrent que le dispositif actuel concernant les intermédiaires comme les salariés ne devrait être retouché qu’a minima pour tenir compte de la nouvelle obligation de formation continue prévue par la directive. Certains ont fait valoir qu’une remise à niveau de certaines règles « pourra être difficilement évitée ». Consciente des exigences de l’ACPR en termes de formalisme, au regard des dernières décisions de sanction de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) (L’Agefi Actifs, n°686, p. 18), la Place se prépare à « une nouvelle culture de la traçabilité » qu’elle qualifie d’« incontournable ».

C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles elle entend faire valoir une question primordiale à ses yeux qui porte sur la validité des formations e-learning et des tests à distance en misant sur le fait qu’une « évaluation forfaitaire du temps passé » soit accepté par l’ACPR. En revanche, les compagnies d’assurances ne semblent pas prêtes à perdre la main sur le contenu et le contrôle de ces formations.

Quelle articulation Priip/DDA en matière de coût ?

Des efforts de coordination sont encore attendus, notamment sur la combinaison des textes Priip et DDA en matière d’information sur les coûts et les frais à porter à la connaissance des clients. « Un problème d’articulation entre ces textes existe, ils nécessitent en effet d’être affinés. Par exemple, on ne sait pas encore où va apparaître le coût du conseil, commente Pauline de Chatillon. Le délai supplémentaire dont devrait bénéficier la mise en œuvre du règlement Priip devrait permettre un alignement cohérent de ce texte avec DDA et MIF II. » Une telle mise en ligne sera bienvenue pour les spécialistes qui s’interrogent sur le rapprochement entre l’article 29-1 de la DDA et l’article 8f du règlement Priip.

Selon l’interprétation retenue, soit le distributeur serait contraint d’isoler les coûts de distribution – et mêmes ceux associés au conseil – au cas où le client demanderait une ventilation des coûts et des frais qui lui sont présentés sous forme agrégée. Soit seuls les coûts et les frais éventuellement facturés par l’intermédiaire au client seraient concernés au-delà du montant de la commission versée par l’assureur et déjà intégrée dans le document d’information clé.