Immobilier d’entreprise

L’évaluation des actifs immobiliers reste une science empirique

L’Agefi Actifs revient sur les méthodes financières utilisées par les experts dans l’évaluation d’un bien - L’objectif étant d’aider le lecteur à distinguer les différentes notions tirées du jargon professionnel.

Devenu au fil du temps une classe d’actifs à part entière, l’immobilier fait appel aujourd’hui, aux côtés des traditionnelles méthodes comparatives - bâti terrain intégré ou par sol plus construction - à des techniques financières d’évaluation. Quelle que soit la nature de l’actif à analyser, ces dernières, qui peuvent être contestées ou jugées réductrices eu égard au caractère unique et aux propriétés multiples d’un bien immobilier, sont utilisées dans la quasi-totalité des expertises. La méthode de capitalisation du revenu et celle de l’actualisation des flux locatifs sont aussi bien employées pour l’évaluation de bureaux, de commerces, de biens d’habitation libres ou occupés (lire l'encadré). Sujettes à discussions, interprétations, subjectivités, toutes les techniques, quelles qu’elles soient, doivent être recoupées les unes avec les autres afin de fournir une valorisation la plus proche possible de la réalité.

Entre une science imparfaite et des données parfois discutables, L’Agefi Actifs cherche à expliciter la manière dont sont évalués financièrement les actifs immobiliers en revenant sur les quelques méthodes et notions financières intervenant dans l’expertise d’un bien, à commencer par les rendements.

Peu de transparence sur les transactions.

Les écarts entre les rendements annoncés à la presse, objets de controverses, et ceux constatés par les experts immobiliers, sensiblement différents, reflètent l’opacité du marché de l’investissement en France. Plus disposés à faire passer un message au marché qu’à favoriser la transparence en fournissant des données fiables, les commercialisateurs, les investisseurs et autres acteurs de terrain ne facilitent pas le travail des experts qui doivent se transformer pour l’occasion en fins enquêteurs pour aller capter des informations qui restent encore aujourd’hui confidentielles. Or, ces références de marché sont primordiales en tant que jalon pour déterminer le rendement d’un immeuble, et donc sa valeur.

Le loyer, la belle inconnue.

Lorsqu’on parle de rendement, c’est d’un rendement locatif qu'il s’agit (lire l'encadré), c'est-à-dire le montant d’un loyer annuel rapporté au prix de vente majoré des frais et droits de mutation (mais pas de la commission de courtage qui est extrêmement variable d’une opération à une autre). Il résulte des transactions qui ont eu lieu sur le marché et se calcule en considérant deux paramètres : le loyer et le prix de vente. Ce dernier est en général une donnée connue et fiable, vérifiable le cas échéant auprès de la Conservation des hypothèques. En revanche, le loyer utilisé pour annoncer le rendement d’une opération reste flou. Certains investisseurs prennent le revenu potentiel, c’est-à-dire celui correspondant au loyer effectif des locaux occupés, augmenté de la valeur locative de marché (VLM) des éventuelles surfaces vacantes, exprimant ainsi un taux de rendement potentiel. D’autres considèrent le loyer perçu lors de l’acquisition, qui peut être supérieur ou inférieur à la VLM en fonction de l’évolution de l’indexation et qui peut prendre en compte ou non l’effet vacance ou les franchises de loyers consenties au locataire exprimant ainsi un rendement effectif. Le rendement qui ressortira de la division de ces deux éléments (loyer et prix de vente) variera donc en fonction du biais adopté par l’investisseur ou l’intermédiaire à l’opération (lire l'encadré). « C’est la raison pour laquelle nous pouvons difficilement nous baser sur une seule référence de taux de rendement », explique Philippe Taravella, directeur général de Crédit Foncier Expertise.

Le plus souvent, les taux de rendement considérés sont potentiels. Ils tiennent compte du revenu potentiel qui serait obtenu si toutes les surfaces étaient louées à des valeurs de marché.

Par ailleurs, le loyer considéré peut être brut (hors taxes et hors charges locatives) ou net (sont déduits les frais incombant au bailleur que ce dernier ne pourra refacturer au locataire). Dans les contrats de bail institutionnels, beaucoup de charges sont assurées par le preneur, les loyers bruts sont donc assez proches des loyers nets.

La méthode par capitalisation des revenus locatifs…

Une fois les rendements de marché connus et recoupés pour tel type de bien, de quartier, de locataire et de bail, ils deviennent des références sur lesquelles s’appuient les experts immobiliers pour valoriser les actifs détenus au bilan des investisseurs institutionnels, selon la méthode de capitalisation des revenus. « Les immeubles expertisés ne correspondant jamais exactement à ceux qui ont fait l’objet de transactions, ces derniers constituent des balises servant à positionner l’actif expertisé », ajoute Philippe Taravella.

C’est là qu’entre en scène l’appréciation subjective de l’expert : attribuer un rendement de marché à un bien unique.

Couplé à l’autre paramètre du triptyque, le loyer, le rendement permet de déterminer la valeur vénale d’un bien c’est-à-dire la somme d’argent estimée contre laquelle un immeuble serait échangé à la date d’évaluation (2).

Cette fois, le loyer est connu de l’expert puisque ce dernier travaille pour le détenteur de l’immeuble qu’il évalue. Le taux de rendement aboutissant à une valeur vénale « actes en mains », l’expert soustraira donc de la valorisation les droits et frais de mutation.

Exemple

- Montant des loyers annuels : 100.000 euros

- Taux de rendement : 8 %

- Valorisation droits inclus : 100.000 / 0,08 = 1.250.000 euros

- Droits : 6,20 %

- Valorisation hors droits : 1.250.000*(1-0,062) =1.172.500 euros

… appliquée à l’expertise.

Dans les faits, le professionnel tient d’abord compte de la valeur locative de marché et détermine une valeur vénale théorique (VLM / taux de rendement de marché déterminé par comparaison des transactions connues) puis procède à des ajustements afin d’apprécier la valeur vénale réelle de l’immeuble eu égard à son état locatif.

Si le loyer de l’immeuble, par le jeu de l’indexation, se trouve au-dessus ou au-dessous de la VLM, l’expert apportera un correctif à la valorisation correspondant au montant du surloyer perçu jusqu’à la prochaine renégociation possible, le tout actualisé (3) sur une période déterminée (s’il reste 2 ans avant la possibilité de rompre le bail, l’actualisation se fait sur 2 ans) ou du sous-loyer (dans ce cas, on considère que l’entreprise restera jusqu’à l’échéance du bail, on actualise donc sur la durée restant à courir).

De même, lorsqu’est concédée une franchise de loyers, l’expert retraite la valorisation du montant de la perte de loyer effective actualisée sur la durée de l’avantage consenti. Si une franchise d’un trimestre est accordée pendant 3 ans, le montant de l’évaluation diminue, selon l’exemple précité, de 25.000 euros actualisé à 8 % pendant 3 ans, soit 64.427 euros (certains professionnels prennent le taux de rendement comme taux d’actualisation pour simplifier le calcul).

Exemple

Etat du marché

- VLM : 1.000.000 euros / an HT HC

- Taux de rendement de marché : 5 %

- Valeur vénale de l’immeuble : 20.000.000 euros droits inclus

- Soit 20.000.000 *(1-0,062) = 18.760.000 euros

Etat locatif

- Loyer réel = 1.200.000 euros

- Sur loyer = 200.000 euros

- Possible rupture du bail : 2 ans

- Sur valeur = 200.000/(1,05)^1 + 200.000/(1.05)^2 = 371.882 euros

- Valeur vénale réelle : 18.760.000+ 371.882 = 19.131.882 euros

La méthode d’actualisation des flux de trésorerie.

« Aujourd’hui, la méthode de capitalisation du revenu manque parfois de pertinence dans certains secteurs très prisés où les prix d’acquisition, très élevés quel que soit l’état du bâtiment, sont déconnectés de ce qu’est en mesure de rapporter l’immeuble dans l’immédiat. » Ici, les acheteurs ne raisonnent plus en termes de rendement mais de rentabilité globale (lire l'encadré), incluant ainsi la plus-value future escomptée après rénovation du bien.

D’autres techniques existent. La méthode d’actualisation des flux de trésorerie (connue sous l’anglicisme discounted cash-flows ou DCF et notamment utilisée pour valoriser les actions) est communément employée, notamment lorsqu’un fait particulier est susceptible d’intervenir pendant la phase de détention du bien tel qu’une renégociation du bail pouvant entraîner de la vacance ou une baisse de loyer ou des travaux afin de tenir compte de l’étalement de ses dépenses dans le temps. Elle consiste à actualiser, sur la période d’investissement ou sur la durée de l’évènement, les flux de loyers nets sécurisés indexés sur l’indice du coût de la construction (ICC) et hypothétiques (en cas de renouvellement du bail ou de relocation à la suite d’une rénovation) et d’y ajouter le prix de vente futur escompté actualisé (correspondant à la capitalisation du dernier loyer au taux de rendement du dossier étudié ensuite actualisé au taux d’actualisation de l’opération). On obtient ainsi un montant correspondant à la valeur d’expertise, cette dernière pouvant varier plus ou moins fortement en fonction des scénarios envisagés.

Exemple

- Loyer annuel : 4.200.000 euros

- Indexation du loyer : 2 %

- Taux de rendement : 6 %

- Bail : 6 ans

- Durée du placement : 10 ans

- Franchise : 1 an

- Lors de la relocation : 6 mois de vacance + 6 mois de franchise

(voir le tableau)

Le choix du taux d’actualisation.

Le taux d’actualisation est d’abord et surtout étroitement lié au choix de la durée d’actualisation. « Si l’expert considère que les flux de revenus à venir sont assurés, il se projettera sur plus long terme que s’il pense que le locataire va rompre le bail dans trois ans et qu’il ne pourra relouer son bien que très difficilement », explique Jacques Lumbroso, expert immobilier. Le taux d’actualisation variera en fonction des scénarios envisagés et en sens inverse de la période d’analyse : si le bien est de qualité, l’actualisation se fera sur une durée plus longue (9-10 ans) et à un taux plus bas que si le bien est de qualité médiocre.

Quant au choix du taux d’actualisation, il reste également une estimation de l’expert et peut faire varier fortement le résultat. D’après l’Afrexim (Association française d’expertises immobilières), il équivaut au coût de l’argent, c'est-à-dire le taux sans risque correspondant à l’OAT 10 ans augmenté de primes de risque, l’une relative au secteur immobilier, l’autre aux caractéristiques du produit (localisation et état de l’immeuble, qualité du preneur et du bail), estimées en arbitrant toujours la trilogie : emplacement, qualité, rareté.

Le coût moyen pondéré du capital (CMPC), c’est-à-dire le taux de rentabilité minimum exigé par les prêteurs de fonds pour financer un projet (coût des fonds propres et coût de la dette), fait parfois office de taux d’actualisation. Inhérent à la personnalité de l’acquéreur, il est davantage controversé car ce ne sont plus forcément tels types d’investisseurs qui achètent tels types de biens

Le TRI, repère des investisseurs.

Le taux d’actualisation ne doit pas être confondu avec le taux de rentabilité interne (TRI) qui n’est pas un outil d’évaluation immobilière, mais un instrument d’aide à la décision d’achat pour un investisseur. Il n’en reste pas moins qu’il existe un lien entre les deux. En effet, le taux d’actualisation doit être au maximum égal au taux de rentabilité interne du projet (TRI), soit le taux qui permet d’égaliser la somme des revenus locatifs nets futurs actualisés valeur de sortie escomptée comprise avec la somme initialement investie. C’est un outil permettant d’apprécier la performance globale d’un projet - en notant toutefois que les données considérées pour le calcul sont aléatoires.

- Si TRI > taux d’actualisation, le projet est rentable.

- Si TRI < taux d’actualisation, le projet n’est pas rentable.

(1) L'Association française des sociétés d'expertise immobilière est une association professionnelle regroupant les sept principales sociétés françaises d'expertise immobilière juridiquement constituées.

(2) Définition donnée par l’Afrexim.

(3) L’actualisation permet de déterminer la valeur actuelle des flux qui se produiront dans le futur à des dates différentes. C’est l’inverse de la capitalisation qui, elle, permet d’évaluer la valeur future d'une somme placée à un taux d’intérêt.

Fichiers: