
L’Europe entend les professions financières

Annoncée dès le mois de mai dernier, l’opposition de Place à l’égard du règlement Priip a porté ses fruits (L’Agefi Actifs, n°676, p. 19). Le 1er septembre 2016, la commission des Affaires économiques du Parlement européen (Econ) a adopté une résolution visant à rejeter les standards techniques Priip (1), dont le document d’information clé (DIC). Cette nouvelle rencontre un écho particulier auprès de l’ensemble des professions financières, une dizaine d’associations professionnelles représentatives de la banque, de l’assurance, des sociétés de gestion et des conseils en gestion de patrimoine (lire l’encadré) ayant fait cause commune pour dénoncer une réglementation susceptible « de manquer complètement sa cible ». Pour ces acteurs, le délai imparti pour coordonner au 31 décembre 2016 l’élaboration et la mise en production du DIC est largement insuffisant.
Cadence effrénée jusqu’au 1er septembre 2016.
Si la prise de position de la commission économique du Parlement européen laisse présager un report, il n’en reste pas moins que jusqu’au 1er septembre, les institutions européennes ont fait la sourde oreille et n’ont manifesté aucune intention de ralentir la cadence. Depuis la publication des normes techniques de réglementation (NTR), dites Regulatory technical standards (RTS), à la fin du mois de mars 2016, jusqu’à leur adoption par la Commission européenne le 30 juin 2016, celle-ci n’a jamais infléchi sa position. La veille de la prise de position des parlementaires européens, c’est-à-dire le 31 août 2016, elle a fait savoir à L’Agefi Actifs par la voix d’un porte-parole qu’elle n’envisageait pas de report : « La Commission respecte la date d’échéance prévue dans le texte de niveau 1 du règlement, c’est-à-dire, le 31 décembre 2016. » (2)
Même la demande adressée par douze Etats membres de l’Union, dont la France, en vue d’un un report de neuf mois du DIC est restée lettre morte. La Commission ne se montre pas intransigeante pour autant. Elle se dit prête à travailler avec les co-législateurs « pour faciliter la mise en œuvre du règlement » et collabore avec les autorités européennes (ESA) « pour présenter des réponses aux questions des associations et compagnies ». L’attention est désormais focalisée sur le Parlement européen et le Conseil à qui revient la tâche de contrôler ces NTR jusqu’au 29 septembre.
Errements et points de blocage.
Face à l’ampleur de la tâche qui les attend, les différents représentants des professions financières ont pris le temps de détailler l’ensemble des errements et des points de blocages de la réglementation. A commencer par le format du document retenu. S’il est toujours question d’établir un seul document combinant information générique et information spécifique pour chaque option, l’alternative prévoit de rédiger un DIC générique sur le produit global et de communiquer l’information précontractuelle spécifique à chaque option. Cette hypothèse ressemble au dispositif français tel qu’il existe aujourd’hui avec un document générique et un renvoi aux fiches d’information des supports sous-jacents. La différence est que l’on ne pourra plus se contenter de fournir le document d’information élaboré par le gérant (désigné DICI dans ce cas de figure) mais qu’il faudra créer un document spécifique dès lors que l’assureur doit mentionner ses frais et recalculer les scénarios de performance.
Concernant la transmission de ces informations au souscripteur du contrat d’assurance, si plusieurs solutions restent à l’étude, il semblerait que les assureurs soient autorisés à mettre à disposition le document générique et renvoyer à leur site internet la liste des sous-jacents concernés.
L’argument de la fin de l’architecture ouverte.
Le dénombrement des options de gestion pose également des difficultés. Dans le cas d’un contrat d’assurance sur lequel des centaines d’unités de compte sont accessibles, l’assureur est tenu de recréer un DIC pour chacun de ces supports. Si trois options de prévoyance y sont associées – en partant du principe qu’elles sont incluses dans le périmètre Priip, ce qui n’est pas acquis au regard des orientations connues – le nombre de DIC à fournir est multiplié par trois, voire davantage si ces options sont combinées. « En fonction du caractère optionnel ou obligatoire de la garantie plancher associée au contrat, ce n’est pas le même document DIC qui sera remis au client », ajoute Ali Esmaili, directeur actuaire chez Investance Partners. Pour Arieh Brunschwig, manager chez Marker Management Consulting, « évoquer la fin de l’architecture ouverte m’apparaît excessif. Il convient plutôt d’envisager une rationalisation de la gamme des fonds proposés par les assureurs au sein des contrats multisupports » (3).
Une autre gageure pour les compagnies tiendra à la gestion dans le temps de cette masse de documentation dans la mesure où chaque DIC évoluera en fonction des conditions de marchés et que les assureurs sont censés pouvoir mettre la main sur un tel document des années plus tard dans l’hypothèse d’un contentieux. On le comprend, la charge s’alourdit considérablement pour les sociétés d’assurances dès lors qu’il leur revient de s’impliquer dans ces travaux de mise en conformité alors même qu’elles comptaient sur les gestionnaires de fonds pour effectuer ces travaux. De leur côté, ces mêmes sociétés de gestion devront s’activer afin d’être prêtes à fournir l’ensemble des informations portant sur les fonds présents des assureurs, en dépit de l’exemption prévue par l’article 32 du règlement Priip.
Des propositions de simplifications.
Après la sanction prononcée par la commission économique du Parlement, certains experts envisagent les améliorations à apporter (lire l’avis d’expert). Pour Valéry Jost, associé chez Forsides, « la démarche la plus efficace et la plus transparente consiste à renvoyer, pour les unités de compte, au document clé élaboré par la société de gestion sans création d’un document spécifique ». Il est également question de recourir au DIC générique prévu par le règlement pour bien expliquer l’articulation entre le contrat et ses supports. A défaut, il faudrait « exonérer les allocations types, telles que les gestions profilées contractuelles, de documents spécifiques dès lors qu’elles ne sont que des cas particuliers accessibles à l’assuré en gestion libre et ne sont donc pas des packages ». De manière générale, Valéry Jost considère qu’« il ne faudrait pas appréhender les options de gestion financière ou les garanties de prévoyance accessoires comme des options d’investissement sous-jacent pour éviter la multiplication des documents ».
Les performances, les coûts et les indicateurs à la loupe.
Au sujet des scénarios de performance tels qu’ils sont envisagés par les standards techniques, Valéry Jost annonce qu’« ils vont contraindre les compagnies à communiquer des hypothèses de performances futures en se basant sur des performances passées alors qu’il est très contestable de livrer une telle projection dans un document d’information » et alors même qu’il ne pourra plus être fait de référence expresse aux performances passées.
En l’état actuel, les NTR imposent aussi aux compagnies d’assurances de délivrer des informations plus fournies sur la structure des coûts associés aux contrats. Pour le fonds en euros, la démarche des frais emprunte largement à celle utilisée pour calculer les coûts sur les OPCVM. « En plus des frais de chargement, des coûts d’investissement doivent être retenus, c’est la raison pour laquelle on se rapproche du travail des sociétés de gestion », confirme Valéry Jost. Il faut également y ajouter certains coûts induits. Pour le spécialiste, « le règlement tendrait par exemple à retraiter certaines participations aux bénéfices en coûts lorsque la formule de participation aux bénéfices est discrétionnaire ».
Concernant les indicateurs, une des pistes de simplification nécessaire pourrait consister « lorsqu’une combinaison de supports de type gestion profilée ou gestion sous mandat doit faire l’objet d’une information spécifique, à fonder le calcul des indicateurs sur la simple combinaison pondérée des résultats propres à chaque support », poursuit l’expert.
(1) Règlement n°1286/2014 du Parlement européen et du Conseil sur les documents d’informations clés (DIC), également désigné Key information document (KID), relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance dits Priip (Packaged retail and insurance based investment products).
(2) Les actes délégués émanant de la Commission sont des actes de niveau 2. Le niveau 3 est constitué par les lignes directrices de l’EIOPA. Le niveau 4 consiste en la vérification de l’application de la législation par la Commission.
(3) Lire l’entretien réalisé avec Arieh Brunschwig sur www.agefiactifs.com.