Assurance vie / Luxembourg

Les limites d’un argumentaire trop rabâché

La distribution des contrats luxembourgeois repose notamment sur l’idée d’une surprotection de l’épargne investie
Il n’en demeure pas moins que la portée de la ségrégation des actifs et du superprivilège doit être appréciée avec recul
DR, Cédric Schirrer, avocat, Wagener & Associés

En ce début de printemps, la perspective de l’élection présidentielle et les incertitudes qu’elle laisse planer, notamment devant l’éventualité d’une sortie de la France de la zone euro, ont de quoi susciter des interrogations. Du point de vue des épargnants, il est une question omniprésente qui tient à la solidité du modèle de l’assurance vie à la française. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler avec quelle véhémence le sujet s’est invité dans les discussions lorsqu’une disposition prévoyant des restrictions à la libre disposition des actifs en cas de crise a été introduite dans le projet de loi Sapin II en mai 2016 (L’Agefi Actifs n°690, p. 21).

Une collecte en pointillés.

Ces atermoiements sur le marché français ont-ils représenté une opportunité pour les distributeurs de solutions de droit luxembourgeois ? Pas forcément, si l’on s’en tient aux chiffres communiqués par le Commissariat aux assurances (CAA), le régulateur du Grand-Duché. Sans livrer le détail de l’état précis de la collecte en provenance marché français (1), l’autorité a estimé que les primes en assurance vie du dernier trimestre 2016 ont diminué de 12,60 % par rapport à la même période de l’année précédente. Il est certain en revanche que l’encaissement en provenance de France a diminué de 12,04 % en 2015.

Des restrictions aussi au Luxembourg.

Si le Luxembourg n’a pas bénéficié immédiatement d’un « effet » Sapin II, c’est d’abord parce que la majorité des compagnies d’assurances qui y sont implantées sont soumises au dispositif français dont le champ d’application est particulièrement vaste. Les mesures de blocage concernent par exemple la réassurance, ce qui n’est pas neutre pour ces assureurs dont la plupart des fonds euros sont réassurés auprès d’acteurs français. Par ailleurs, ils sont soumis à leur propre mécanisme de restriction en vertu de la loi du 7 décembre 2015 sur le secteur des assurances (LSA). Pour autant, il est vrai que ce dispositif trouve à s’appliquer compagnie par compagnie et non pas pour l’ensemble de la Place comme c’est le cas avec la loi Sapin II.

Un encours toujours en hausse.

S’il devait se confirmer, ce trou d’air en termes de collecte ne saurait faire perdre de vue qu’un pic d’activité a été enregistré en 2012 lorsque l’encaissement en provenance du marché français a bondi de 111 % pour atteindre un encours supérieur à 23 milliards d’euros. Porté à plus de 29 milliards l’année suivante, ce niveau d’encours a permis à la France de subtiliser à la Belgique sa place de premier client de l’assurance vie luxembourgeoise (lire l’encadré). En 2014, l’encaissement a encore augmenté de plus de 20 % pour avoisiner les 36 milliards, devenus 40 milliards en 2015 et, de manière approximative, 47 milliards aujourd’hui. Soit un doublement des encours en quatre années, en dépit des aléas de collecte. Un beau succès. A titre de comparaison, le marché français a crû dans le même temps d’à peine 17 %.

Des vocations françaises.

C’est un constat, le Luxembourg prend des parts de marché sur les cibles patrimoniales et fortunées en mettant à leur disposition une gamme complète de solutions sophistiquées, basées sur la souplesse réglementaire octroyée de l’autre côté de la frontière (L’Agefi Actifs n°684, p. 8). Côté français, si certaines compagnies s’en irritent et y voient une distorsion de concurrence, notamment celles qui s’estiment parasitées par leur propre filiale, d’autres ont préféré réagir pour maîtriser une partie de ces flux de collecte. C’est le cas de CNP Assurances, Axa, Monceau Assurances, Apicil et, dans une moindre mesure, AFI Esca (L’Agefi Actifs n°661, p. 13). Le vent est d’ailleurs porteur pour les compagnies à dimension internationale. Par exemple, BNP Paribas Cardif a enregistré un accroissement de son chiffre d’affaires épargne plus rapide au Luxembourg (13 %) qu’en France (1 %).

L’attention des autorités.

Toute cette activité a de quoi susciter l’attention du Trésor et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui voient des milliards d’euros d’épargne échapper à leur vigilance. Par exemple, le régulateur français surveille toutes les annonces, publicitaires et commerciales, en provenance du Luxembourg. En cause : le fait qu’aucun acteur intervenant en France ne peut s’octroyer des avantages réglementaires concurrentiels au regard des assureurs locaux en dehors de ceux accordés par le législateur français (L’Agefi Actifs, n°693, p.23).

L’incidence sur la communication en question.

Est-ce suffisant pour y voir une communication plus mesurée de la part des distributeurs qui dénoncent désormais des « mythes » et des « chimères » (2) au sujet des déroulés commerciaux déployés en faveur de l’assurance vie au Luxembourg ? Rien n’est moins sûr. En revanche, il est acquis qu’une majorité continue de s’en tenir aux mêmes argumentations bien rodées (lire l’encadré). Il suffit de se pencher sur les plaquettes de présentation pour s’en rendre compte : il est courant d’y lire que ces offres reposent sur une protection renforcée « maximale », voire « optimale ». Il est aussi répété à longueur de plaquettes de présentation que ces actifs assurent « la plus grande sécurité possible pour les clients », si ce n’est « une sécurité unique en Europe ».

Ségrégation des actifs.

L’argumentaire est notamment bâti sur le « triangle de sécurité » en vertu duquel les actifs propres de l’assureur sont séparés de ceux qui représentent les provisions techniques des assurés. Ces derniers sont déposés auprès d’un établissement dépositaire qui est agréé par le CAA. En cas de difficultés de l’organisme d’assurance, c’est ce patrimoine distinct qui est affecté par privilège à la garantie du paiement des créances d’assurances. En se référant à ce principe, des commerciaux promettent aux épargnants français de récupérer leur mise de départ en raison du fait, selon eux, que le Luxembourg garantit totalement les avoirs déposés, à la différence de la France.

Risques liés au dépositaire.

Pour autant, un tel raisonnement met de côté l’éventualité du défaut du dépositaire lui-même dont ni l’assureur, ni l’assuré ne sont à l’abri. En conséquence, dans l’hypothèse d’un coup dur, si l’organisme assureur honore ses engagements à l’égard de ses clients et leur restitue les actifs confiés, il se trouve que ces liquidités peuvent être perdues, totalement ou en partie, par le dépositaire. Dans le cas où le patrimoine distinct ne serait pas suffisant pour couvrir les créances, les assurés disposent d’une créance sur les autres actifs de l’entreprise mais il s’agit alors d’un privilège – et non pas d’un superprivilège – subordonné aux dettes envers l’Etat, les organismes sociaux et les salariés.

Quelles sont les véritables garanties ?

Le superprivilège est la seconde règle spécifique au Luxembourg, dont l’activation survient en cas de défaillance de l’assureur. Pour autant, il ne s’agit nullement d’une garantie de remboursement mais d’un privilège commun à tous les assurés. Dans le détail, ce principe conditionne l’ordre de dédommagement des créanciers, il place le souscripteur devant l’Etat et les salariés alors qu’en France, où les provisions techniques constituent des engagements privilégiés, il faut bien reconnaître que ce sont l’Etat et les salariés qui priment. De ce côté-ci de la frontière, le règlement de telles dettes envers ces créanciers représentent en général, selon nos informations, un montant très faible, à savoir moins de 1 % du bilan d’un assureur vie. En pratique, c’est un montant équivalent à cette part du bilan qui sera acquitté en priorité par rapport aux engagements envers les assurés. D’avis d’expert, il s’agit de dettes « en réalité d’un montant marginal ».

Le FGAP français.

Certaines critiques font également valoir qu’en dépit de ce mécanisme, en cas de faillite d’un organisme, le Luxembourg n’a pas érigé de garantie sur le montant des créances au-delà des reversements effectués à l’occasion de la liquidation des actifs. A titre de comparaison, en France, depuis 1999, le Fonds de garantie des assurances de personnes (FGAP) prévoit un tel dispositif en cas d’échec de toutes les mesures préventives. Au-delà des reversements exécutés, post-liquidation, en faveur des créanciers, les dépôts sont garantis en dernier recours à hauteur de 70.000 euros par assuré et par organisme. Il est vrai, en revanche, que sa capacité d’intervention est limitée à environ 1,5 milliard d’euros. Toutefois, le FGAP n’a jamais été activé en dépit d’une sollicitation en 2000 lors de la liquidation de la société ICD Vie.

Quelle défaillance en France ?

Aucun assureur vie français ne s’est trouvé en situation de défaillance depuis Europavie en 1997. A l’époque, celui-ci est tombé en raison d’une stratégie de placement trop risquée : la plupart de ses contrats, en unités de comptes (UC), étaient adossés à des parts de SCPI qui ont pâti de la chute des prix de l’immobilier au début des années 90, alors même que l’organisme avait garanti des taux de rendement élevés. Les épargnants ont été totalement indemnisés pour un montant global de moins de 20 millions d’euros grâce à un mécanisme de solidarité (3).

Des cas avérés de faillite.

La validité de l’argumentaire de surprotection de l’épargne investie est à évaluer au regard de l’historique du marché luxembourgeois. Alors que la taille du secteur est environ dix fois moins importante qu’en France, les affaires PanEurolife en 2004 et Excell Life en 2012 ont connu un retentissement particulier. Dans ce dernier dossier, à l’issue de la phase de liquidation de la société, des dividendes ont bien été versés mais à hauteur de 75 % seulement des actifs réalisés pour la plupart des fonds au bilan. Par ailleurs, les investissements réalisés dans des fonds en unités de compte (UC) ont essuyé une baisse importante sans que le triangle de sécurité ni le superprivilège ne soient d’une quelconque utilité. Les créances sur l’assureur ont été réduites dans les mêmes proportions que la valeur de marché des actifs sous-jacents.

Une opposition entre assurés.

Comme le rappellent les avocats Cédric Schirrer et Donald Venkatapen, du cabinet Wagener & Associés (4), cette affaire a commencé en 2010 lorsque le CAA a découvert des irrégularités en lien avec les transferts de titres Lehman Brothers et avec la commercialisation de contrats d’assurance vie accolés à des produits structurés non conformes à ses prescriptions. En juin 2012, les agréments ont été retirés à Excell Life qui a été mise en liquidation judiciaire en juillet 2012. A côté des clients qui ont partiellement récupéré leur mise de départ, ceux qui ont investis sur des fonds plus risqués ont considéré qu’un partage devait se faire au profit de l’ensemble des créanciers superprivilégiés, peu importe le fonds support de leurs investissements. L’affaire a abouti à un jugement de première instance le 1er avril 2015.

Des doutes sur l’efficacité du dispositif.

A l’époque, les juges ont considéré que le principe de mutualisation des risques ne pouvait pas être invoqué dans le cas de placements financiers ayant mal tourné. En clair, le superprivilège n’aurait pas vocation à protéger les investisseurs qui se positionneraient sur les supports les plus agressifs. C’est sur la base de ce raisonnement que Cédric Schirrer et Donald Venkatapen se sont interrogés sur « l’efficacité réelle » du système de ségrégation des actifs et sur les garanties qui sont à l’œuvre.

Relance du débat.

Ce dossier vient de rebondir avec l’arrêt rendu en appel le 18 janvier 2017 (n°42398). Selon Cédric Schirrer, « la Cour a réformé la décision de première instance en considérant que le principe de ségrégation des actifs en droit luxembourgeois crée une masse distincte comportant les actifs de tous les créanciers. Il faut comprendre que le seul fait qu’il n’existe qu’une masse distincte au profit de tous les créanciers d’assurances ne veut pas dire qu’ils auront un droit à récupérer leur mise de départ. Le droit à créance du souscripteur équivaut à la valeur de l’actif sous-jacent. Si ce dernier perd sa valeur, le créancier n’aura comme créance que la valeur de l’actif amoindri ». Alors que cette décision est de nature à renforcer le principe de superprivilège, elle ne fait pas l’unanimité. En ce qui concerne certains fonds dédiés spécifiques, des assureurs ont soutenu que ces actifs pouvaient être écartés de la masse et que le superprivilège leur garantirait un traitement à part en cas de faillite de la compagnie. « Cet arrêt revient sur cette interprétation et confirme que le système luxembourgeois ne fait pas de différence entre les créanciers d’assurances », conclut l’avocat. 

 

(1) Le Commissariat aux Assurances a fait savoir qu’il ne dispose pas du détail trimestriel par pays d’engagement.

(2) Voir la revue éditée par la CNCGP de mars 2017 et la tribune publiée dans Professions CGP dans son premier numéro de 2017.

(3) Publication de l’ACPR, « Analyse et synthèse », mai 2014.

(4) L’assurance vie au Luxembourg : questions d’actualités - 1ère édition - Editeur : Anthemis.