
« Les enjeux de l’assurance vie sont considérables »

L’Agefi Actifs. - Que pensez-vous de l’initiative tendant à faciliter la commercialisation des contrats Eurocroissance ?
Albéric de Montgolfier. - Vous remarquerez que cette mesure avait été évoquée « en avant-première » lors de la table ronde organisée par la commission des Finances du Sénat le 6 mai dernier. Elle avait ensuite été reprise par François Villeroy de Galhau dans son rapport sur le financement de l’investissement des entreprises.
Sur le fond, le sujet est particulièrement compliqué. Tout d’abord, il ne me semblerait pas acceptable de transférer purement et simplement une partie de la richesse des fonds euros vers les contrats Eurocroissance et donc de l’offrir à de nouveaux souscripteurs.
Cependant, le projet est plus subtil. Une des options soumises à consultation vise plutôt le cas où des assurés transfèrent une partie de leurs droits d’un fonds euros vers un contrat Eurocroissance, comme la loi l’autorise, sans remise en cause de l’antériorité fiscale. Il s’agit alors de permettre à ces assurés « d’emporter avec eux » une partie des plus-values latentes du fonds euros. Actuellement, si un assuré sort d’un fonds euros, ses droits lui sont payés mais il ne touche rien au titre des plus-values latentes, qui constituent les réserves du fonds et n’ont pas encore été affectées aux assurés. Autoriser que ces réserves soient ponctionnées au moment où un assuré quitte le fonds contrevient au principe de mutualisation. Pour autant, ce principe s’appliquerait à nouveau au sein du fonds Eurocroissance qui bénéficierait de ce transfert de richesse, dont une partie profiterait donc aux nouveaux entrants, qui n’apportent rien d’autre avec eux que leurs primes.
L’autre option permet en plus aux assureurs de transférer des plus-values latentes à raison des prestations payées depuis le fonds euros, et pas seulement en cas de conversion d’engagements.
Tout ceci me semble peu lisible pour les assurés et contestable sur le plan des principes. Les plus-values latentes ont été accumulées grâce à l’épargne des assurés et garantissent la solidité des fonds euros. Le gouvernement peut-il vraiment autoriser les assureurs à déshabiller les fonds euros pour essayer de relancer un produit qui connaît de grandes difficultés ?
La réorientation de l’épargne vers l’investissement productif est un objectif que je partage. Toutefois, cela ne peut pas se faire par des moyens qui sapent la confiance des Français en leur donnant le sentiment que le gouvernement change la règle du jeu au mépris des contrats conclus, cela risque d’être contre-productif.
Je crois qu’il appartient avant tout aux assureurs d’être plus raisonnables dans leur politique de rémunération des fonds euros, comme l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) les y engage régulièrement, de profiter de la souplesse qu’offrent les contrats Eurocroissance pour rechercher du rendement et de réellement faire la promotion de ce nouveau produit.
En décembre 2014, le législateur avait déjà pris des initiatives...
- Vous faites référence à l’exigence de bonne foi qui conditionne désormais l’exercice de la faculté de renonciation au-delà du délai de trente jours. Cette mesure était destinée à rassurer certains assureurs un peu échaudés par des renonciations exercées très tardivement par des clients avertis qui ont ainsi échappé à d’importantes moins-values.
Mais cela n’a rien fait pour améliorer l’attractivité des contrats Eurocroissance auprès des épargnants. Cette attractivité se fonde avant tout sur les rendements offerts. C’était d’ailleurs l’objet même du contrat Eurocroissance que d’offrir de meilleurs rendements que les fonds euros en échange d’une garantie à terme plutôt qu’à tout instant. Simplement, les taux sont actuellement très bas et les fonds euros bénéficient de leur antériorité.
Quelles suites comptez-vous donner à la table ronde organisée par le Sénat sur le thème de l’assurance vie, le 6 mai 2015 ?
- La commission des Finances va continuer de travailler sur ce thème. Les enjeux sont considérables. L’assurance vie doit s’adapter au contexte de taux actuel, qui risque de durer, faire face à la concurrence européenne et mieux contribuer au financement de l’économie, ce qui conforterait le régime fiscal de faveur dont elle bénéficie aujourd’hui.
Au cours de cet événement, le cas des contrats d’assurance vie luxembourgeois a été évoqué...
- La directive 2002/83 du 5 novembre 2002 prévoit que, par défaut, la loi applicable aux contrats d’assurance vie est la loi de l’Etat de la résidence habituelle du preneur d’assurance. Les Etats membres peuvent cependant offrir aux parties la possibilité de choisir la loi applicable au contrat. Ce n’est pas le cas de la législation française qui exclut cette possibilité. L’article L. 183-1 du Code des assurances dispose ainsi que « lorsque l’engagement est pris, au sens de l’article L. 310-5, sur le territoire de la République française, la loi applicable au contrat est la loi française, à l’exclusion de toute autre ». Or, même s’il ne l’interdit pas explicitement, le Code des assurances ne prévoit pas qu’un contrat d’assurance vie puisse être constitué sous forme d’apport de titres. Les primes sont toujours définies comme des « sommes versées ».
Pour autant, il est avéré que des contrats d’assurance vie souscrits en France par des résidents français auprès de sociétés luxembourgeoises ont reçu des versements sous forme de titres. Cette modalité d’alimentation du contrat d’assurance vie est même mise en avant dans la documentation commerciale des assureurs et des intermédiaires qui distribuent ces contrats en France. Il y a donc de quoi s’interroger, notamment sur la passivité des autorités françaises face à un phénomène qui prend de l’ampleur.
Comptez-vous faire des propositions en vue de légiférer sur ce point ?
- La question est : faut-il aligner le droit français sur le droit luxembourgeois ou, au contraire, renforcer notre législation pour proscrire ce type de montage ? L’apport de titres constitue-t-il un élément de souplesse bienvenue ou un abus à combattre ? Il me semble que ce n’est pas l’apport de titres en soi qui est condamnable mais le fait de conserver des droits sur ces titres et de pouvoir les récupérer ou les transmettre alors que l’assurance vie repose en principe sur une logique de mutualisation. Vendre des titres pour verser le produit sur un contrat ou les céder à l’assureur pour alimenter un contrat n’est pas si différent, dès lors que le souscripteur abandonne tout droit sur ces titres et que la plus-value est imposée, ce qui ne semble pas être le cas actuellement s’agissant de l’apport de titres. En revanche, un contrat d’assurance vie n’est pas un PEA. Si l’administration fiscale ne s’en mêle pas, l’apport de titres sur un contrat luxembourgeois permet de disposer d’une sorte de compte titres bénéficiant du régime avantageux de l’assurance vie, dont ce n’est pourtant pas l’objet.
C’est pourquoi, à mon avis, il faut faire respecter le droit français et veiller à ce que les versements se fassent exclusivement en numéraire. A défaut, il ne s’agit plus d’assurance vie au sens français et il n’y a pas de raison de faire bénéficier le souscripteur ou son bénéficiaire du régime fiscal normalement associé à ce type de contrat. Si on finit par reconnaître que l’apport de titres ne constitue pas une irrégularité, alors il faudra légiférer soit pour interdire, soit pour encadrer cette pratique et ainsi éviter les abus.
Quelle est votre position vis-à-vis de l’éligibilité des titres accessibles sur ces contrats ?
- Il s’agit là en partie d’un autre sujet, mais je pense également qu’il faut tout d’abord faire respecter le droit français et donc veiller à ce que les contrats souscrits en France par des résidents français soient investis dans des titres autorisés par le Code des assurances. Ceci dit, on peut légitimement se demander s’il ne serait pas utile de faire évoluer ces règles pour redonner un peu de compétitivité aux contrats français. Il me semble que ceux-ci doivent pouvoir offrir les mêmes possibilités d’investissement que les contrats luxembourgeois dès lors que les exigences de « protection suffisante » de l’épargne sont respectées. S’il apparaît que certaines possibilités d’investissement interdites en France et autorisées au Luxembourg ne permettent pas cette « protection suffisante », alors il appartient aux autorités compétentes d’agir et, à tout le moins, d’avertir les épargnants français tentés par la souscription d’un contrat luxembourgeois des risques.
Le règlement des dossiers en déshérence est un autre sujet d’actualité. Comptez-vous donner des suites au rapport devant être rendu en 2016 ?
- Il faudra attendre de voir si les assureurs ont joué le jeu et ont fait de vrais efforts pour retrouver les bénéficiaires des fonds en déshérence avant le transfert à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Je rappelle que c’est la commission des Finances du Sénat qui a voulu que la loi impose à l’ACPR de préparer le rapport que vous évoquez. L’objectif était de pousser les assureurs à mettre à profit la période précédant l’entrée en vigueur, prévue le 1er janvier 2016, de la loi du 13 juin 2014 pour apurer au maximum le stock des contrats d’assurance vie en déshérence.
A cette date, les fonds correspondant à ce stock seront déposés à la CDC. Les assureurs seront alors libérés de toute obligation de recherche et d’information des souscripteurs et bénéficiaires de ces contrats. La CDC ne sera quant à elle obligée qu’à la publicité de l’identité des souscripteurs. Il importe donc que, d’ici au 1er janvier 2016, les assureurs mettent tout en œuvre pour que la plus grande part possible des sommes susceptibles d’être prochainement déposées auprès de la CDC soit plutôt versée à leurs destinataires.
La profession a pris des engagements. Il faudra la tenir responsable si elle ne les tient pas.