
Le superviseur durcit le ton sur les frais de l’assurance vie

L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) tape du poing sur la table. L’organe de supervision français de la banque et de l’assurance estime que les assureurs n’en font pas assez sur la transparence et la justification des frais de l’assurance vie, un marché à 1.800 milliards d'euros d'encours. Elle veut davantage protéger la clientèle dans un contexte marqué par le retour de la volatilité sur les marchés. Après avoir opté pour les pourparlers depuis l’an dernier, la tutelle a changé de ton à l’occasion de sa conférence annuelle dédiée à la supervision.
« Nous avions souhaité des progrès cette année, en privilégiant le dialogue avec les assureurs. Nous devons malheureusement constater que le compte d’un bon accord n’y est pas encore aujourd’hui : sous réserve d’avancées rapides de la profession, que nous continuons à souhaiter, nous prendrons donc si nécessaire une recommandation de l’ACPR d’ici la mi-2023 », a annoncé François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France et président de l’ACPR.
En cause : la transparence et le rapprochement entre le rendement et le niveau des frais en assurance vie, jugés trop superficiels par l’institution. « Nous avions souligné la nécessité de progrès supplémentaires l’an dernier et annoncé que l’ACPR engagerait une analyse plus approfondie du sujet en invitant la profession à s’en saisir. Ce travail d’analyse s’est fait et il a été présenté à la Place. Force est de constater le décalage entre les attentes exprimées et les résultats à ce jour », explique Jean-Paul Faugère, vice-président de l’ACPR.
Un sujet qui dérange
Les unités de compte (UC), qui représentent 39% de la collecte cette année, sont notamment dans le collimateur. Trois points sont essentiels aux yeux de l'ACPR et doivent être traités dans un potentiel accord : la publication par chaque assureur des tarifs au niveau des contrats et pour chacune des UC, ainsi que la performance au regard des charges récurrentes ; la publication des données moyennes pour l’ensemble du marché selon des catégories à définir en fonction des niveaux de risque ou de la nature des UC ; « l’exercice, par chaque assureur, du discernement, qui lui revient conformément au libre arbitre qui sied au droit de la concurrence ».
« Je sais que le sujet dérange. J’ai entendu les interrogations des professionnels, en particulier des sociétés de gestion et des intermédiaires, et je continue à croire qu’une approche collaborative est possible. Mais au regard du constat, il n’est plus possible d’hésiter : l’accumulation des frais élevés peut, dans certains cas, amputer toute espérance de rendement », justifie Jean-Paul Faugère. Le dirigeant admet que des efforts ont déjà été faits, avec par exemple l’accord de Place signé début 2022. Les producteurs et distributeurs des plans d’épargne retraite (PER) et d’assurance vie sont tenus, depuis le 1er juin 2022, de publier un tableau standardisé «simple et lisible pour l’ensemble des épargnants». Il regroupe les frais récurrents (frais de gestion des assureurs et des sociétés de gestion) mais aussi non récurrents (versement, arbitrage…) des PER assurance et compte-titres. Un récapitulatif du total des frais supportés par chaque unité de compte ou chaque actif l’année précédente est aussi censé être disponible depuis le 1er juillet.
Un mouvement nécessaire
Pas de quoi éteindre les critiques qui pleuvent sur ces producteurs et distributeurs. Outre le superviseur européen - l’Eiopa a placé le sujet au cœur de ses priorités et s’interroge sur la commercialisation de produits chers à la performance relative -, les plus acerbes sont venues de l’Hexagone. Un rapport de la présidente du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) Corinne Dromer, commandé par Bruno le Maire, a notamment documenté l’accumulation des frais sur les PER individuels. Le baromètre 2021 de l’épargne vie individuelle produit par le cabinet de conseil spécialisé en assurance Facts & Figures a illustré l’accumulation des frais sur les unités de compte. Face à ces constats, les sénateurs Jean-François Husson (LR) et Albéric de Montgolfier (LR), auteurs d’un rapport sur la protection des épargnants, avaient initié une proposition de loi autour des frais qui minent l’épargne des français. « Tous les signaux semblent indiquer qu’un mouvement des professionnels serait opportun, voire nécessaire », résume Jean-Paul Faugère.
Aucun des professionnels interrogés par L’Agefi n’a souhaité commenter les discours de François Villeroy de Galhau ou de Jean-Paul Faugère. Abordé sous l’angle du pouvoir d’achat par l’exécutif et l’opposition, le sujet est sensible pour ces acteurs, qui devront puiser dans leurs réserves pour servir des taux attractifs pour leurs fonds en euro en 2022 face à l’inflation et l’attractivité des livrets réglementés. Mais la pression est forte dans ce contexte où la défense du pouvoir d’achat est une des priorités du gouvernement. D’autant que l’assurance vie est l’instrument d’épargne préféré des Français : à la fin du mois d’octobre 2022, on comptait plus de 18 millions de détenteurs d’assurance vie et un total d’encours à 1.827 milliards d’euros. En outre, 3,6 millions d’assurés détenaient un PER assurantiel, la grande majorité des PER, pour un encours de 44,4 milliards d’euros. De grandes sommes qui impliquent de grandes responsabilités.