AU FIL DU PATRIMOINE

Le mandat d’arbitrage en assurance-vie sur le gril

Mathilde Castagna et Jonathan Blondelet
Les commissions d’arbitrage seraient sur le point d’être interdites via un amendement adopté par le Sénat au sein de la proposition de loi de Husson et Montgolfier.
(Adobe stock)

Le mandat « carte blanche » pourrait bien vivre ses derniers instants sur le marché de l’assurance-vie. Utilisé jusqu’ici sans contraintes juridiques, le mandat d’arbitrage en assurance-vie fait aujourd’hui l’objet d’attention. Le sujet avait été amorcé dans un premier temps au sein de la proposition de loi sur la protection des épargnants des deux sénateurs Husson et Montgolfier, pour ensuite être modifié via un amendement du gouvernement adopté au Sénat fin janvier. L’exécutif a précisé le cadre des mandats d’arbitrage en assurance-vie et propose notamment la suppression des commissions versées à l’occasion d’opérations d’achat ou de vente à partir de 2026.

« Depuis 2015, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) font savoir qu’elles souhaitent mettre de l’ordre dans les pratiques hétérogènes des acteurs. Les autorités ont pu en remarquer certaines allant à l’encontre de l’intérêt des épargnants », explique Louis Ladaigue, avocat chez Avanty. En plus de définir le mandat d’arbitrage en assurance-vie, le texte pourrait obliger à formaliser cette délégation par une convention et implique notamment de donner une orientation de gestion. Le gouvernement a exclu la gestion pilotée par horizon du plan d’épargne retraite (PER) du champ d’application du dispositif, dans la mesure où ce mode de gestion prévoit déjà une sécurisation progressive de l’épargne à l’approche de la date de liquidation du contrat.

Le texte, qui sera prochainement présenté devant l’Assemblée nationale, restreint l’activité de mandataire aux assureurs ou aux courtiers en assurance. Cependant, en ciblant les mandataires « agissant dans le cadre de leurs activités commerciales ou professionnelles », il sauvegarde les mandats familiaux, où la gestion de l’épargne est confiée à un proche. De quoi faire grincer des dents certains intermédiaires. « Je trouve cette disposition terriblement dangereuse, déplore David Charlet, président de l’Anacofi. Jusqu’ici, les compagnies pouvaient refuser une relation avec un mandataire non professionnel puisqu’il ne s’agit pas d’actifs détenus en direct mais d’une créance inscrite dans leurs livres de comptes dont elles sont garantes. Elles ne le pourront plus si le mandat est consacré dans la loi. »

La sensible question de la rémunération

La proposition de loi se penche également sur les modalités de rémunération de ces mandataires. Elle s’arrête aujourd’hui sur la suppression des commissions de mouvement. Ainsi, « l’exécution d’arbitrages au titre d’un mandat ne peut donner lieu à aucune commission ou à aucune rémunération versée à l’occasion d’opérations d’investissement ou de désinvestissement entre les supports proposés ». Les gestionnaires continueront à percevoir des frais de gestion annuels, mais ne seront pas autorisés à appliquer des frais en cas de vente ou de rachat de titres et de supports. « Si cela est mis en place, c’est une très bonne chose pour le marché », affirme Cyrille Chartier-Kastler, président et fondateur du cabinet Good Value for Money.

Le texte fait attention à ne pas toucher aux rétrocessions que pourrait percevoir le mandataire, en conservant les rémunérations différenciées en fonction des supports. La gestion du contrat d’assurance-vie peut en effet être réalisée en externe si le client choisit le mandataire, mais aussi en interne s’il est choisi par l’assureur. « Cet amendement permet de ne pas supprimer une modalité de rémunération du mandataire de la compagnie, qui lui rétrocède des honoraires facturés au client pour la gestion du contrat », observe David Charlet.

En alignement avec l’AMF

« La gestion libre concerne aujourd’hui plus de 85 % des encours des contrats d’assurance-vie, précise Bercy. Il s’agit ici d’encadrer une pratique minoritaire en proposant le reflet de l’interdiction future des commissions de mouvement dans la gestion d’actifs côté assurance-vie pour prévenir tout risque de distorsion réglementaire. » En effet, cela fait plusieurs années que le sujet faisait l’objet de discussions dans la sphère des gestionnaires d’actifs. En 2022, l’AMF s’était décidée à agir en modifiant son règlement, actant la suppression des commissions de mouvement. Alors qu’elles représentaient une mine d’or pour les acteurs, les gestionnaires seront dans l’obligation d’appliquer cette nouvelle réglementation dès 2026. Le texte législatif cherche ainsi à étendre cette interdiction à la gestion de contrats d’assurance-vie afin de contrer les potentiels conflits d’intérêts.

Mais pour certains acteurs, l’impact ne se fera pas sentir. Ils sont déjà plusieurs sur le marché à ne plus appliquer ce type de frais, à l’instar de Yomoni, Linxea et Boursorama. « Dans le cadre de l’assurance-vie et d’un mandat d’arbitrage, nous arbitrons nos portefeuilles entre 10 et 12 fois par an. Donc entre 120 et 180 ordres par client, et cela, sans appliquer aucuns frais ni aucune commission », explique Sébastien d’Ornano, président et cofondateur de Yomoni.

Pistes pour l’avenir

Alors que le texte n’est pas encore adopté, certains voient l’occasion d’aller plus loin dans l’encadrement des mandats de gestion et d’esquisser des pistes pour l’avenir. « Les dénominations ne sont pas du tout normées. A titre d’exemple, selon les acteurs, un profil prudent, audacieux ou offensif peut présenter des caractéristiques totalement différentes, ce qui n’aide pas les épargnants », relance Cyrille Chartier-Kastler. Le président du cabinet Good Value for Money regrette également le manque d’encadrement dont font l’objet des indicateurs communs, utilisés par tous, comme le SRRI (Synthetic Risk and Reward Indicator). « Parfois, je vois des acteurs communiquer sur les montants maximums de gain ou de perte sur certains supports, sans pour autant comprendre comment ils avancent de telles affirmations », ajoute-t-il.

D’autres proposent d’appliquer à la gestion pilotée et collective sous mandat l’expertise et l’exigence d’un prestataire de services d’investissement (PSI) en imposant cet agrément au gestionnaire. « Dans cet amendement, on traite le sujet dans une logique de mandat unitaire, personnalisée, alors qu’on sait qu’une partie de l’activité s’applique dans une logique plus industrielle via la gestion pilotée. Il arrive que l’on applique des mandats sur des milliers de portefeuilles avec une allocation commune. J’aurais trouvé cela intéressant de positionner une obligation d’agrément de PSI sur ce type de gestion », suggère le président de Yomoni.