
L'assurance vie exclue du choc de simplification
Le 15 décembre dernier, les députés ont adopté en séance publique l’article 11 du projet de loi de finances (PLF) pour 2018. Rompant avec le principe de barémisation des revenus du capital, ils ont opté pour un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % réparti entre 12,8 % d’impôt et 17,2 % de prélèvements sociaux. De l’avis de Bruno Le Maire, ministre des Finances, une telle évolution représente un « gage de simplicité et de lisibilité de l’épargne ». Reste que le législateur n'a pas fait table rase de la fiscalité passée et que cette réforme, qui s’étend également aux produits de l’assurance vie et aux contrats de capitalisation, n’atteint pas l’objectif affiché par l’exécutif.
Maintien du régime actuel. La fiscalité des produits afférents aux primes versées jusqu’au 26 septembre 2017 demeure inchangée, et ce peu importe leur montant. En cas de rachat, le contribuable conserve le bénéfice du barème progressif et le cas échéant une option pour le prélèvement forfaitaire libératoire (PFL), dont les taux restent inchangés. En revanche, à compter des primes versées le 27 septembre 2017, point de bascule de la réforme 2018 de la fiscalité de l’assurance vie, la donne se complexifie et les combinaisons fiscales deviennent multiples.
Correctif. Initialement, le PLF pour 2018 cantonnait le prélèvement forfaitaire de 12,8 % aux seuls produits d’assurance vie afférents aux primes versées à compter du 27 septembre 2017 si seulement le montant total des encours dépassait 150.000 euros par assuré. A l’inverse, si les versements n’atteignaient pas ce seuil, les revenus restaient soumis au PFL de l’ancien régime, bien que les primes soient postérieures au 27 septembre. Cette règle revenait à pénaliser les petits contrats de moins de huit ans, qui en cas de rachat auraient été imposés à un prélèvement libératoire de 35 %, ou de 15 % avec un PFU de 12,8 %. Pour ceux qui auraient opté pour le barème progressif, ils n’auraient été avantagés qu'à condition d'être exonérés d'impôt sur le revenu dans la mesure où la première tranche du barème de cet impôt est fixée à 14 %, soit un taux supérieur à celui du prélèvement unique. Face à une telle distorsion, l'exécutif a revu sa copie et les députés ont aligné le taux de 12,8 % à tous les contrats de moins de huit ans, quel que soit le montant des primes versées.
Mille-feuille fiscal. A l’issue de cette réforme, au 1er janvier 2018, pas moins de quatre régimes fiscaux se superposeront (lire le tableau). Toutefois, quoique profonde, cette évolution ne concerne que la fiscalité en cas de vie, le mécanisme économique de l'assurance vie demeure quant à lui inchangé au même titre que le régime fiscal de la transmission. En ce qui concerne le nouveau régime, si l’imposition des produits selon le barème progressif est toujours d’actualité, ce régime cohabitera avec les nouvelles règles applicables aux contrats rachetés à compter du 1er janvier 2018.
Cumul. « Il faudra expliquer au client que l’on applique cumulativement deux régimes distincts en fonction de la date de versement des primes », signale Marie-Hélène Poirier, directrice juridique et fiscale de SwissLife France. Dès lors, les produits rachetés afférents à des primes versées à compter du 27 septembre 2017 seront soumis au taux unique de 12,8 % entre 0 et 8 ans, soit un taux global de 30 %, prélèvements sociaux compris. La question est plus complexe pour les contrats de plus de huit ans qui bénéficient dans le système actuel d’un taux préférentiel de 7,5 % après abattement de 4.600 euros (voire 9.200 euros pour les couples) sur la quote-part de produits imposables (lire le tableau).
Traitement des contrats de plus de huit ans. Pour ne pas pénaliser la détention de longue durée, le projet de loi a introduit un seuil de 150.000 euros, qui constitue le point de bascule de la nouvelle fiscalité des contrats de plus de huit ans. Le postulat est toujours le même, puisque ce seuil ne concerne que la fiscalité des produits inhérents aux primes versées après le 27 septembre 2017. Selon les termes du PLF 2018, les intérêts rachetés après huit ans sur un contrat dont l’encours net de revenus est inférieur à 150.000 euros seront soumis au taux de 7,5 %. Au-delà de ce seuil les produits seront imposés au prorata au taux de 12,8 %. Etant précisé que le contribuable ne perd pas le bénéfice des abattements existants, « toutefois ceux-ci s’imputeront en priorité sur les produits soumis à 7,5 % », précise Frédéric Poilpré, directeur de l’ingénierie patrimoniale et financière, Société Générale Private Banking.
Répartition du seuil. Le seuil de 150.000 euros est apprécié par contribuable, sur l’ensemble des contrats d’assurance vie et de capitalisation qu’il détient, tous établissements confondus. Ce montant est apprécié au 31 décembre de l’année qui précède le rachat, sur la base de l’ensemble des primes versées et non rachetées, nettes de revenus mais brutes de frais d’entrée. Ce montant ne sera pas multiplié par deux en cas de couple, ni mutualisé. « Nous sommes dans une toute autre logique, que les 4.600 euros d’abattement qui doublent pour atteindre les 9.200 euros pour les couples soumis à imposition commune et qui bénéficient alors indifféremment à l’un ou l’autre des membres du foyer fiscal », précise Marie-Hélène Poirier. Mais un point reste en suspens, celui des contrats en cosouscription ou démembrés. Le bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) aura à déterminer la répartition du seuil entre les cosouscripteurs et les usufruitiers et nus-propriétaires.
Modalités d’option. A côté de ces nouvelles règles, « le maintien de l’option pour le barème progressif complique la donne. L’actuel prélèvement forfaitaire n’est applicable que sur option expresse du client, le régime par défaut étant l’impôt sur le revenu », souligne Marie-Hélène Poirier. Cette option est unitaire – le souscripteur peut alterner pour le prélèvement forfaitaire ou l’impôt sur le revenu pour les différents rachats qu’il effectue au cours de l’année. A compter du 1er janvier, le modèle s’inverse. Le prélèvement unique de 12,8 % sera de principe et l’option pour l’IRPP serait irrévocable et globale pour l’ensemble des revenus de capitaux de l’année. A priori, le contribuable ne pourra pas opter « à la carte » entre prélèvement unique et barème progressif. « Nous attendons avec une très grande impatience la publication BOFiP pour connaître les modalités définitives de l’option », déclare Marie-Hélène Poirier.
Prélèvement obligatoire l’année du rachat. Au paiement du rachat la compagnie prélèvera l’impôt à la source à un taux de 12,8 % pour les contrats de moins de huit ans et de 7,5 % au-delà. Ce prélèvement obligatoire mais non libératoire sera effectué automatiquement sans considération ni du seuil de 150.000 euros précédemment mentionné, ni des abattements. L’administration fiscale opérera une régularisation l’année de la déclaration des revenus en fonction des éléments portés à sa connaissance. Un mécanisme déjà connu des contribuables qui possèdent actuellement des contrats de plus de huit ans. La raison étant toujours la même, la compagnie n’a pas connaissance des autres contrats et rachats qui pourraient être opérés dans l’année dans d’autres établissements. Ce qui vaudra à l’avenir pour l’appréciation du seuil de 150.000 euros.
Déclaration des revenus. Désormais, l’épargnant sera seul (ou presque) face aux arbitrages fiscaux à opérer sur ses revenus de capitaux. Selon le nouveau régime le client exercera son option auprès de l’administration fiscale et non pas auprès de l’assureur. Cette opération sera exécutée non plus avant l’encaissement des produits mais au moment du dépôt de sa déclaration, au plus tard avant la date limite de déclaration. « A priori il faut comprendre que le contribuable conserve sa faculté d’opter pour le PFL et ce pour chacun des rachats portant sur des intérêts générés par des primes versées avant le 27 septembre. Pour les versements postérieurs, il devra choisir entre PFU ou barème progressif pour l’ensemble de ses revenus mobiliers », analyse Nicolas Mongin, ingénieur patrimonial, Lazard Frères Gestion. « Encore plus qu’aujourd’hui il faudra que les intermédiaires aident les clients dans le choix de leur fiscalité », ajoute-t-il. Un constat partagé par Frédéric Poilpré, selon qui « désormais le client va devoir être plus que jamais transparent sur ses revenus pour que nous puissions l’orienter au mieux de ses intérêts ».
Régularisation des trop ou moins perçus. Dans le cadre de la déclaration de revenus, le prélèvement effectué l’année du rachat s’impute sur l’impôt dû en n+1. Si le prélèvement obligatoire non libératoire ponctionné par la compagnie excède l’impôt effectivement dû, il y aura restitution. Pour les contrats de plus de huit ans sur lesquels l’assureur prélève automatiquement 7,5 % d’impôt, le contribuable complétera le cas échéant l’impôt entre 7,5 % et 12,8 %. Cette subtilité va nécessiter l’aménagement des imprimés fiscaux uniques remis annuellement aux contribuables. A présent, pour les contrats de plus de huit ans, il faudra que chaque dépositaire porte à la connaissance de l’administration le total de primes versées et non rachetées pour permettre aux services fiscaux d’apprécier le dépassement ou non du seuil de 150.000 euros.
Nouveau compartimentage des produits. Les règles cadres étant posées, les compagnies d’assurance sont en attente des instructions pratiques de l’administration. « Des discussions sont en cours entre Bercy et la profession. Jusqu’à présent les assureurs pouvaient opter pour une méthode globale permettant de déterminer un taux pour chaque compartiment. La place souhaiterait conserver cette méthode », révèle Marie-Hélène Poirier. Renseignements pris auprès de certains acteurs, « les compagnies vont devoir adapter leurs traitements informatiques pour être en mesure de distinguer les versements ante ou post 27 septembre 2017 et créer à cet effet des compartiments pour isoler les produits afférents ». Alexandra Lanée, directeur du conseil patrimonial / fiscaliste, Mansartis, spécifie qu’« à l’heure actuelle, nous savons que les compagnies raisonneront en compartiments fiscaux ».
Des approximations en perspective ? « Cela étant, en cas de rachat partiel d’un contrat compartimenté mais ayant fait l’objet de différents arbitrages, la compagnie pourrait se trouver en difficulté pour isoler parfaitement les intérêts générés par des primes versées avant et après le 27 septembre. Dans ce cadre, l’assureur devrait appliquer une règle de trois », précise l’une de nos sources. Nicolas Mongin relativise la situation : « en soi la ventilation ne dépendra que des développements informatiques des compagnies qui ont déjà eu à gérer ce type de changements en 1997. Encore faut-il que les règles de calcul soient clairement établies. Ainsi, la priorité pour le moment c’est que Bercy publie son BOFiP dans les plus brefs délais ».
Préconisations. Pour les versements à venir, l’ouverture d’un nouveau contrat peut prendre tout son sens, « les clients pouvant sortir fiscalement à un taux plus favorable que ceux applicables aux contrats de moins de huit ans, un nouveau véhicule permettra de faciliter les arbitrages pour les clients », mentionne Alexandra Lanée. Un avis qui est aussi celui de Nicolas Mongin, « puisque les clients qui souhaitent faire des rachats à court terme profitent ainsi de l’effet de taux et d’assiette, la quote-part imposable étant mécaniquement inférieure à celle d’un ancien contrat ».
Mesurer le coût du rachat. Pour les contrats déjà existants, Clotilde Courtois, directrice de l’ingénierie patrimoniale, Banque Privée Caisse d’Epargne Île-de-France, souligne que la fiscalité n’est plus un frein aux retraits avant huit ans : « de plus, au-delà du simple raisonnement fiscal, certains anciens contrats offrent des possibilités d’investissement moindres que les contrats plus modernes. Un rajeunissement des primes pourrait permettre de rechercher une meilleure diversification et plus de services. L’aspect économique revient sur le devant de la scène. » Une hypothèse que n’écarte pas Frédéric Poilpré, non sans l’entourer de quelques précautions : « Il faut mesurer le coût du rachat. Car pour absorber la fiscalité générée par le rachat cela va prendre du temps, surtout si l’on repart sur des actifs de type fonds euros. De plus, ce type de réflexion ne peut se mener qu’en parallèle avec la fiscalité successorale du contrat. Il ne faudrait pas fiscaliser un contrat déjà défiscalisé ».
Frédéric Poilpré, directeur de l’ingénierie patrimoniale, Société Générale Private Banking France