
La réponse Bacquet ravive les tensions entre notaires et assureurs
Monsieur D, marié sous le régime de la communauté légale, souscrit seul un contrat d’assurance vie au moyen de fonds communs au profit de son épouse. Monsieur D sait qu’à son décès, Madame D recevra le capital du contrat et que cette somme constituera pour elle un bien propre en application de l’article L. 132-16 du Code des assurances.
Mais que se passe-t-il, en revanche, si Madame D vient à disparaître en premier, laissant ainsi le contrat non dénoué à la succession ? La valeur de rachat de ce contrat est-elle un acquêt de communauté ou un bien propre de Monsieur D, avec toutes les conséquences civiles et fiscales qui en découlent ? La question n’est pas tranchée par la loi.
Dans la réponse ministérielle du 29 juin 2010, désormais connue des praticiens sous le nom de réponse Bacquet, l’administration fiscale vient de mettre fin à la tolérance dont elle avait fait preuve jusqu’alors en affirmant que, désormais, la valeur de rachat des contrats d’assurance vie souscrits avec des fonds communs doit figurer à l’actif de communauté (1). A l’instar de tout bien commun, la moitié viendra ainsi augmenter la masse successorale taxable.
Cependant, l’application de la réponse Bacquet sur le terrain n’apparaît pas si simple. L’assureur qui commercialise les contrats d’assurance vie tout comme le notaire qui liquide les successions doivent s’adapter à cette nouvelle doctrine. Les premiers défendent la spécificité de l’assurance que la réponse Bacquet remet en cause en cause. Pour eux, qualifier la valeur de rachat d’acquêt de communauté revient à traiter le contrat d’assurance comme un produit d’épargne. Les seconds se félicitent que ce contrat non dénoué financé par des fonds communs soit traité comme tous les autres actifs communs au moment de la succession
Attendre, informer...
La Fédération française de sociétés d’assurances (FFSA) ainsi que la majorité des compagnies d’assurances ont décidé de ne pas bouger, « Nous ne pouvons pas changer nos pratiques tant que cette situation n’aura pas été confirmée. Il est indispensable d’apporter de la stabilité dans les opérations des Français », explique un assureur de la Place. Marie-Hélène Poirier, directrice juridique et fiscal chez SwissLife France, confirme que la situation n’est pas définitive (lire l'avis d'expert ci-dessous).
Reste que certaines structures d’assurance, moins nombreuses, adoptent une position différente, analysant la réponse Bacquet comme un texte impératif. C’est le cas notamment d’UAF patrimoine, structure de Prédica dédiée aux conseillers en gestion de patrimoine indépendants (lire l’encadré p. 12). Dans l’attente d’une prise de position plus franche de la part des pouvoirs publics, ces assureurs demandent à leur réseau d’informer les assurés de cette situation. « Il est de notre devoir d’indiquer aux clients les zones d’incertitude qui demeurent, pour le moment, à défaut de position jurisprudentielle ou législative tranchée », estime Odile Boite, directrice juridique et fiscal de BNP Paribas Assurance.
… et proposer néanmoins des solutions.
Même si les assureurs considèrent que le sujet n’est pas clos, cela ne les empêche pas de proposer à leur clientèle des moyens pour contourner les difficultés générées par la réponse Bacquet (lire l’encadré ci-dessous). D’autres compagnies préfèrent confier cette mission au notaire ou au conseiller juridique de leurs clients : « La situation individuelle de chaque assuré doit être appréciée spécifiquement et il est prudent que le client se rapproche de son notaire ou d'un professionnel du droit qui doit examiner l’ensemble des éléments relatifs à la situation patrimoniale et matrimoniale considérée », estime CNP Assurances.
Mais lorsque la compagnie ne souhaite pas changer les pratiques existantes pour une situation qui n’est pas encore tranchée en droit positif, le professionnel doit s’adapter : « D’un côté, mon comité juridique me donne une position conduisant à ne rien changer dans ma pratique. De l’autre, je pense que ce serait dommage de se mettre en porte-à-faux avec l’administration fiscale. Selon moi, la réponse Bacquet expose mon client à un contentieux potentiel si celui-ci choisit de ne pas réintégrer la valeur de rachat dans l’actif de communauté. Donc, en pratique, j’informe sur Bacquet et je conseille de se rapprocher du notaire afin d’envisager la constitution éventuelle d’un préciput, par exemple », explique un conseiller d’assurance.
Intégration du contrat à l’actif de communauté…
Pour les notaires, la réponse Bacquet ne fait que confirmer l’alignement du traitement fiscal sur le traitement civil, « une situation qui est aujourd’hui indiscutable en raison de la jurisprudence Praslicka de 1992 et d’un arrêt de la Cour de cassation du 19 avril 2005, et consacrée par la réponse ministérielle Proriol du 10 novembre 2009 », précise Pascal Julien Saint-Amand, notaire et président d’Althémis, ajoutant que « les réponses Proriol et Bacquet constituent l’état du droit positif actuellement ». Les notaires traitent ainsi le contrat non dénoué en question comme un actif commun dont la moitié est conservée par le conjoint survivant, tandis que l’autre moitié échoit à la succession, cette dernière quotité étant taxée aux droits de succession.
… qui pose problème en pratique.
Les notaires éprouvent cependant des difficultés à faire appliquer cette réponse ministérielle. Pour effectuer l’intégration du contrat non dénoué à l’actif de communauté, l’officier public doit en connaître sa valeur. « Pour obtenir cette information, explique un notaire, nous interrogeons la compagnie d’assurances qui refuse de nous renseigner alors même que nous détenons un mandat de notre client. Je note cependant que les banques de gestion privée transmettent, elles, les informations. Nos clients reçoivent ensuite un courrier de l’assureur libellé comme suit : Maître Dupont, notaire, nous réclame des renseignements sur le contrat que vous avez souscrit auprès de notre compagnie au moyen de fonds communs. Nous vous précisons que l’intégration fait l’objet d’une controverse […]. Pour notre part, nous pensons qu’il n’y a pas lieu d’intégrer cette valeur à l’actif de communauté […]. Je pense que la méthodologie de la réponse de ces assureurs sème le doute dans l'esprit du conjoint survivant et pourrait laisser croire que le notaire, officier ministériel désigné par l'Etat, n'applique pas correctement la loi. »
« D’ailleurs, lorsque nous communiquons notre désaccord, il nous est rétorqué que les notaires ne cherchent qu’à augmenter leurs émoluments en intégrant la valeur de rachat », s’emporte un autre officier ministériel. Pour Sophie Gonsard, notaire chez Althémis, l’accord conclu en 2002 entre le Conseil supérieur du notariat et la FFSA qui impose une confidentialité sur ces contrats non dénoués ne se justifie plus aujourd’hui compte tenu de la réponse ministérielle Bacquet (lire l’encadré ci-dessous).
Lorsque les conjoints font de la résistance.
Certains notaires déplorent que la situation conduise des conjoints survivants à ne pas communiquer l’information. « Dans cette situation, je fais signer une reconnaissance de conseil donné et une déclaration de leur part qu’il n’existe pas de contrat. En effet, je ne souhaite pas être complice de la fraude de mon client en cas de redressement fiscal », explique un notaire.
Pour refuser de communiquer ces informations au notaire, le client invoque le fait que cette intégration le pénalise fiscalement ainsi que les autres héritiers. « Certes, l’intégration d’un nouvel actif dans la communauté générera un coût fiscal, mais c’est oublier que le coût sera moindre au second décès, à supposer que le patrimoine reste inchangé. S’agissant de l’impact civil de la réponse Bacquet, on s’aperçoit que le conjoint est souvent, malgré l’intégration du contrat, suffisamment protégé. Et si ce n’est pas le cas, une multitude de solutions peuvent être mises en place en amont », explique Sophie Gonsard (voir les exemples du tableau).
« Pour obtenir une fiscalité moindre, certains assureurs vont même jusqu’à envisager des schémas suprenants, reproche Sophie Gonsard : cela concerne le cas où chacun des époux communs en biens souscrit un contrat en désignant son conjoint bénéficiaire. Au premier décès, l’un des contrats ne se dénoue pas, supportant ainsi un surcoût fiscal en vertu de la réponse Bacquet. L’autre contrat se dénoue. L’assureur va conseiller au conjoint survivant de renoncer au bénéficie du contrat au profit de ses enfants, créant ainsi une récompense due à communauté. Cette récompense sera inscrite au passif de la succession et viendra diminuer l’actif taxable. En proposant cela, l’assureur va appauvrir un peu plus le conjoint survivant, déjà diminué dans ses droits par l’intégration du contrat non dénoué à la communauté. C’est soigner le mal par le mal. Le risque est de rallumer la guerre entre notaires et assureurs, ce qui serait préjudiciable à leurs clients communs ».
Pourtant, les assureurs déclarent comprendre la situation des notaires. Dans une tribune parue dans L’Agefi Actifs, Hubert Marck leur avait proposé de mentionner pour mémoire, dans la déclaration de succession, le contrat d’assurance vie non dénoué (2). Cette solution ne semble pas les avoir séduits pour le moment.
Adaptation des outils.
La technique doit suivre les méandres de la doctrine fiscale. Harvest, la société éditant le logiciel de bilan patrimonial BIG Expert, s’est elle aussi adaptée à Bacquet. « Depuis le 28 novembre 2010, nous avons inclus un paramètre prévoyant par défaut d’intégrer la valeur de rachat de ces contrats, constatant que la majorité de nos clients (banques, compagnies d’assurances et indépendants) faisait cette intégration. En outre, pour pallier les effets de la réponse ministérielle Bacquet, il peut être recommandé de mettre en place soit une clause d'attribution préciputaire, soit de forcer le dénouement au premier décès par une co-adhésion et une assurance deux têtes premier décès. Ces éléments ont été naturellement intégrés dans la saisie des contrats d'assurance », explique Jean-Philippe Robin, directeur commercial d’Harvest, ajoutant que cependant, « nous avons été obligés de proposer également un paramètre permettant de ne pas intégrer cette valeur de rachat à la masse commune, constant que certains assureurs n’appliquaient pas cette réponse ministérielle ».
(1) Rep. min. n° 26231 « Bacquet », JOAN 29 juin 2010.
(2) L'Agefi Actifs n°465, p. 9.