Plafonnement ISF

La doctrine intègre les intérêts des fonds en euros au calcul

Contre toute attente, l’administration fiscale a décidé d’anéantir l’optimisation du plafonnement en assurance vie - Les conseils fiscaux s’interrogent sur l’opportunité de publier de tels commentaires quelques heures avant la date de clôture des déclarations ISF.

En l’absence de rachat, doit-on prendre en compte les revenus d’un contrat d’assurance vie dans le calcul du nouveau plafonnement ? Jusqu’au 14 juin dernier, l’ensemble des experts de la Place a exclu une telle éventualité sur la base de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 29 décembre 2012 (1). Les Sages ont sanctionné le projet du législateur d’intégrer ces revenus dans le plafonnement ISF prévu par le projet de loi de Finances pour 2013 au motif que l’exigence de prise en compte des facultés contributives s’oppose à ce que des sommes, qui ne correspondent pas à des bénéfices ou à des revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de l’année, soient intégrées dans le revenu. Dès lors, l’assurance vie a représenté un moyen privilégié d’optimisation du plafonnement ISF qui est censé assurer un contribuable de ne pas payer en impôt sur le revenu de l’année précédente (IR) et sur la fortune (ISF) plus de 75 % de ses revenus de l’année précédente (L’Agefi Actifs, n°593, p.6)

Recours pour excès de pouvoir.

Cette solution n’a pas persuadé l’administration fiscale qui a décidé d’intégrer ces revenus au calcul, pour leur montant donnant prise chaque année aux prélèvements sociaux. Il est indiqué que cette disposition « vise notamment les produits des contrats monosupports en euros et des compartiments en euros des contrats multisupports ». Ces commentaires mis en ligne au Bofip (2) font désormais l’objet d’une critique unanime de la part des conseils fiscaux en ce qu’elle entre, selon eux, en contradiction avec la position adoptée par le Conseil constitutionnel.

Les experts s’interrogent par ailleurs sur l’opportunité de l’intervention de l’administration trois jours seulement avant la date limite de dépôt des déclarations ISF. Pour certains, ces précisions trop tardives ont privé les contribuables concernés de recourir à d’autres outils comme les dons ou le dispositif ISF/PME pour minorer leur ISF. Selon la plupart des avocats fiscalistes, l’administration fiscale pourrait très bien être sanctionnée par le juge administratif, d’ici à un ou deux ans, sur la base d’un recours pour excès de pouvoir (REP) introduit par un contribuable. Selon eux, le Bofip aurait ajouté à la loi dans la mesure où l'article 885 V bis du Code général des impôts (CGI) dispose que le plafonnement ne vise que les revenus mondiaux nets de frais professionnels de l'année précédente, des revenus exonérés d'IR et des produits soumis à un prélèvement libératoire réalisés au cours de la même année en France ou hors de France. Pour sa part, l’administration fait valoir la position qui était la sienne lors de la création du bouclier fiscal par la loi de Finances pour 2006 (3).  

Vieux contentieux.

Cette situation s’inscrit en effet dans une confrontation plus ancienne entre l’administration fiscale et les conseils fiscaux que ces derniers ont cru définitivement réglée en 2010 avec l’affaire Nemo (13 janvier 2010, n°321416). Un contentieux a déjà porté sur la question de l’intégration des revenus des supports en euros des contrats multisupports dans le calcul du bouclier fiscal. Bercy a dû céder après la mise au point du Conseil d’Etat qui a considéré que les revenus engendrés sur ces contrats n’étaient pas définitifs dans la mesure où l’épargnant disposait toujours de la faculté de faire des arbitrages. Plus précisément, la Haute juridiction a considéré que « si le revenu retiré d’un contrat monosupport définitivement acquis au titulaire du contrat à la date de son inscription en compte chaque année est réalisé à cette date, les revenus correspondant aux produits générés par le fonds en euros d’un contrat multisupport ne peuvent être regardés comme ayant ce caractère ».

Depuis, le législateur a modifié le dispositif du bouclier pour revenir à un système de plafonnement appliqué jusqu’en 2011 qui n’intégrait pas ces revenus. Les produits des contrats d’assurance vie et de capitalisation, monosupports ou multisupports, n’étaient assimilés à des revenus qu’en cas de rachat.

Après sa suppression en 2012, le plafonnement a fait son retour en 2013 et les professionnels ont craint, dans un premier temps, que ces revenus soient retenus dans la version du projet de loi de Finances pour 2013. L’article 13 prévoyait d’inclure dans le revenu servant au calcul du plafonnement la variation annuelle de la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation nette des versements et des rachats opérés au cours de l’année considérée. Le Conseil constitutionnel, en sanctionnant le projet de loi sur ce point notamment, a laissé entrevoir les cas d’optimisation qui pouvaient être mis en œuvre avant que l’administration ne livre donc son interprétation le 14 juin. 

Redressement.

Surtout, ce texte du Bofip a une incidence sur le calcul de l’ISF 2013. Les redevables qui avaient déjà acquitté leur impôt mais qui n’ont pas eu le temps de prendre en compte le texte risquent de voir la réduction appliquée au montant de leur ISF remise en cause et assortie de l’intérêt de retard de 0,40 % par mois. Parmi ceux qui auront pris connaissance à temps du texte, certains contribuables auront eu le loisir de modifier leur déclaration avant de présenter une réclamation pour voir appliquer le plafonnement auquel ils prétendent. D’autres auront décidé de ne pas en tenir compte en faisant valoir leur point de vue devant l’administration fiscale. Pour les conseillers en patrimoine, reste à présent à informer tous les clients qui se croyaient à l’abri d’une remise en cause fiscale. 

Alternatives.

Pour l’avenir, des CGP misent sur le potentiel commercial des contrats d’assurance vie à participation aux bénéfices différée. Pour mémoire, l'article A. 331-9 du Code des assurance prévoit que le montant des participations aux bénéfices peut être affecté directement aux provisions mathématiques ou porté, partiellement ou totalement, à la provision pour participation aux bénéfices. L’article de loi dispose que « les sommes portées à cette dernière provision sont affectées à la provision mathématique ou versées aux souscripteurs au cours des huit exercices suivant celui au titre duquel elles ont été portées à la provision pour participation aux bénéfices ». De l’avis de ces conseillers, les produits placés dans cette poche sont exclus du calcul du plafonnement de l’ISF.

Reste que cette interprétation tient son origine d’un article du Code des assurances et non pas du CGI et l’administration fiscale ne s’est pas encore prononcée de manière officielle sur ce point. Il n’est pas dit qu’elle consacre une interprétation trop favorable au contribuable.  

(1) N°2012-662 DC.

(2) BOI-PAT-ISF-40-60.

(3) N°2005-1719 du 30 décembre 2005.