Assurance vie

La désignation bénéficiaire : son utilité, son mécanisme, ses pièges (partie 2)

Nous avons effectué dans un premier chapitre un rappel du principe de la clause bénéficiaire et des différentes possibilités de désignation - Sont analysées ici les erreurs et imprécisions à éviter et les incertitudes liées à la faculté de prévoir le rapport et la réduction en assurance vie.

DES DÉSIGNATIONS BÉNÉFICIAIRES MALADROITES MAIS DES JUGEMENTS D'ÉQUITÉ 

A propos de la représentation.

Voici quelques exemples de jurisprudence.

- La Cour d’appel de Rennes (C.A. Rennes, 6 nov. 2002) :Le concubin a été assimilé au conjoint alors que le souscripteur n’avait pas de conjoint et vivait avec son concubin depuis longtemps avant la souscription du contrat. La Cour d’appel, tout en refusant d’assimiler systématiquement la qualité de conjoint à celle de concubin, a estimé qu’en l’espèce « l’intention réelle de la concubine était de gratifier son compagnon ».

- La Cour d’appel de Paris(C.A. Paris du 30.4.2002, 7e ch. section A. RG, N 2000/ 11781) :La clause du contrat ne prévoyait pas la représentation.

En appel, l'assureur et la banque qui commercialisait le contrat ont été condamnés à verser à la fille de l’enfant prédécédé une somme de 9.000 euros (soit environ la moitié du capital garanti) pour l'avoir privée d'une chance de bénéficier de l'assurance en manquant à leur devoir de conseil à l'égard de sa grand-mère.

Selon la Cour d’appel, ces professionnels n'auraient pas dû laisser celle-ci signer une clause bénéficiaire inadaptée (évoquant des enfants « à naître » pour une femme âgée de 84 ans à la souscription) et pouvant l'induire en erreur sur l'identité des bénéficiaires en cas de prédécès de l'un de ses enfants.

- Autre cas dans lequel la représentation non expressément prévue s’est appliquée : une personne, Madame Z, souscrit un contrat en désignant comme bénéficiaires : « à parts égales Robert Y et Victorin Y (ses frères) et Annie A (sa nièce) à défaut leurs héritiers, à défaut mes héritiers ».

Robert Y décède avant Madame Z sans avoir accepté le bénéfice du contrat. Lors du décès de Madame Z la compagnie verse les capitaux aux deux autres bénéficiaires, Victorin et Annie. Les enfants de Robert assignent l’assureur pour obtenir leur part. La cour d’appel condamne l’assureur à leur verser leur part, jugeant qu’il n’y avait aucun doute sur la « volonté clairement exprimée de Madame Z de voir les fonds versés aux héritiers de Robert ». La Cour de cassation (civ. 2e, 13 juin 2013, pourvoi n° 12-20518) rejette le pourvoi de l’assureur. C’est donc lui qui devra payer les héritiers lésés et non à ces derniers de rembourser le trop-perçu.

Encore une fois, cette désignation n’était pas assez précise et a donc laissé la possibilité d’interpréter la volonté du souscripteur (lire aussi l’encadré). 

Une clause bénéficiaire par testament très mal rédigée.

Un particulier décède, laissant pour lui succéder trois filles. Dans un testament olographe, il déclare léguer le capital d'un contrat d'assurance vie à sa fille aînée et aux deux enfants de celle-ci.

Ses deux autres filles assignent leur soeur en liquidation et en partage de la succession, estimant que ce capital constitue une libéralité avec toutes les conséquences successorales qui s'en suivent telles que la réductibilité pour atteinte à la réserve héréditaire.

La Cour d'appel fait droit à cette requête et ordonne le séquestre du capital d'assurance vie.

Les bénéficiaires du capital décès se pourvoient en cassation car ils estiment qu'il résulte des articles L. 132-8 et L. 132-12 du Code des assurances que « le capital stipulé payable lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ne fait pas partie de la succession de l'assuré »puisque « le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, laquelle peut être faite par testament, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat ». La Cour de cassation rejette ce pourvoi, considérant que « c'est par une appréciation souveraine de sa volonté que la Cour d'appel a admis que le souscripteur avait entendu inclure ce capital dans sa succession et en gratifier les bénéficiaires désignés »(Cass. civ. 1, 10 octobre 2012, n° 11-17891).

Bien entendu, la terminologie adoptée par le testateur ne souffre aucune autre interprétation et cela ne correspond sans doute pas à sa volonté. Il est donc particulièrement important, selon moi, de ne jamais rédiger une clause bénéficiaire sur le testament du souscripteur pour éviter tout risque. On peut, par contre, tout à fait rédiger la clause en la forme testamentaire et la déposer chez son notaire qui l’enregistrera au fichier des dernières volontés. 

Désignation bénéficiaire et non-respect des charges et conditions.

Les charges ou conditions ne doivent pas être contraires à l'ordre moral ou limiter les libertés fondamentales du bénéficiaire.

Elles doivent être également suffisamment claires pour pouvoir s’imposer aux bénéficiaires. Par exemple, la Cour de cassation a considéré que, dans le cadre d'un contrat Obsèques, le bénéficiaire désigné n’était pas obligé d'utiliser le capital décès pour régler les frais d'obsèques car « le contrat ne prévoyait pas expressément l'affectation du capital garanti à la couverture des frais funéraires » (Civ. 1ère, 17 mars 2010, n°08-20.426).

Il est important de noter que l’assureur n’est pas tenu à l’obligation de vérification que les charges ou conditions sont bien appliquées lorsque celles-ci perdurent au-delà du règlement des capitaux. Par contre, si la condition peut être vérifiée avant le paiement du capital, l’assureur le fera.

Le souscripteur pourra alors prévoir dans la clause bénéficiaire qu'un tiers ou un notaire le vérifie et, à défaut d'une bonne exécution, que le capital soit reversé par le bénéficiaire défaillant à un autre bénéficiaire de second rang.

Il convient cependant d’être très prudent dans la mise en place de conditions ou charges car il peut être très difficile, voire impossible, de vérifier si le bénéficiaire s’en acquitte bien. 

LA POSSIBILITÉ DE PRÉVOIR LE RAPPORT ET LA RÉDUCTION EN ASSURANCE VIE 

Je préfère ma fille... mais j’aime bien aussi mon fils.

Roland, veuf, souscrit un contrat au profit de sa fille et précise par testament : « Je lègue à ma fille F la quotité disponible en toute propriété de l’universalité des biens, droits et actions mobilières et immobilières qui composeront ma succession sans exception ni réserve. Je précise que dans son lot devront figurer (…) ainsi que l’intégralité des contrats d’assurance vie. »

A son décès :

Sa fille touche les capitaux décès du contrat et sa réserve plus la quotité disponible sur la succession.

Son fils n’est pas content du tout et intente un procès… qu’il perd en appel. La Cour de cassation casse la décision.

Arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2010 n°09-12.491 : « Attendu que pour débouter M. Arnaud X de sa demande tendant à ce que le capital d'assurance vie versé à Mme Florence X soit pris en compte dans la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, l'arrêt retient, d'une part, que, contrairement à ce qu'affirmait M. Arnaud X, son père ne pouvait être le bénéficiaire du contrat d'assurance vie puisqu'il était décédé antérieurement à la souscription du contrat, d'autre part, qu'il ne rapportait pas la preuve de l'intention libérale au sens de l'article 894 du code civil relatif à la donation puisque l'assurance vie suppose un aléa, enfin, que les primes versées n'étaient pas manifestement exagérées compte tenu des facultés contributives de Roland X eu égard à l'importance de son patrimoine mobilier et immobilier…Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. Arnaud X qui faisait valoir que Roland X avait, dans son testament, exprimé la volonté que le capital d'assurance vie soit pris en considération pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible en précisant que ce capital devrait être inclus dans le lot de sa fille, légataire de la quotité disponible, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé… »

Les arguments des différents spécialistes sont effectivement relativement forts pour laisser penser que le souscripteur peut soumettre, par sa seule volonté, à rapport et à réduction les capitaux décès. En effet, même si l'article L. 132.13 ne fait pas partie des articles auxquels assureur et contractant peuvent déroger selon l'article L. 111.2, certains auteurs, et non des moindres, pensent que cela reste possible si le souscripteur le veut.

Mais la Cour de cassation n’a-t-elle pas simplement rappelé à la Cour d'appel de prendre en considération l'attendu sur ce sujet, comme le rappelle Bernard Vareilles ? « La première Chambre civile casse pour défaut de réponse à conclusions : selon elle la Cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du Code de procédure civile. Le petit-fils fait en effet valoir que le défunt, en spécifiant que ce capital devrait être inclus dans le lot de sa fille, avait exprimé la volonté que le capital d’assurance vie fût pris en considération pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible. Les juges d’appel auraient dû s’expliquer sur la mise en œuvre d’une telle stipulation. »

La Cour d’appel à nouveau réunie a maintenu sa position en déboutant le petit fils et en concluant« … que l’intention du souscripteur de voir intégré à la succession le capital décès pour sa prise en compte dans la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible ne résultait pas du testament ».

La Cour de cassation (Cass. civ., 20 mars 2013, n°11-27221) confirme cette décision (et par la même occasion notre interprétation de sa première décision…) en estimant que« c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la Cour d’appel, recherchant comme il lui était demandé, la volonté du testateur, a, sans se contredire, estimé que celui-ci n’avait pas entendu que le capital d’assurance vie soit pris en considération pour le calcul de la réserve… » 

Ni rapport, ni réduction…

Voilà donc un débat clos, ou presque, car reste tout de même la question suivante : un souscripteur peut-il imposer que les capitaux décès issus d’un contrat d’assurance vie soient soumis aux règles de la réduction et/ou du rapport ?

Le principe est qu’il n’y a ni rapport, ni réduction selon l’article L. 132.13 du Code des assurances, en effet : « Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.  

Autrement dit, l’article L. 132.13 du Code des assurances est-il d’ordre public ?

Qui peut y déroger?

Quelles seraient alors les conséquences ?

L'article L. 111-2 du Code des Assurances précise que : « Ne peuvent être modifiées par convention les prescriptions des titres Ier, II, III et IV du présent livre, sauf celles qui donnent aux parties une simple faculté et qui sont contenues dans les articles L. 112-1, L. 112-5, L. 112-6, L. 113-10, L. 121-5 à L. 121-8, L. 121-12, L. 121-14, L. 122-1, L. 122-2, L. 122-6, L. 124-1, L. 124-2, L. 127-6, L. 132-1, L. 132-10, L. 132-15 et L. 132-19. »

L’article L. 132.12 ne figurant pas dans la liste ci-dessus, il est donc d’ordre public et les parties présentes au contrat ne peuvent y déroger. 

… mais :

Ces dispositions ne sont cependant impératives que dans les rapports entre l'assureur et l'assuré.

Est-il possible que le souscripteur impose que les capitaux décès issus d’un contrat d’assurance vie soient soumis aux règles de la réduction et/ou du rapport ?Il semble que l’on puisse répondre par l’affirmative si cela est prévu dans la désignation bénéficiaire.

Cependant… En faisant ainsi, le souscripteur ne remet-il pas ainsi en cause la stipulation pour autrui et ne dénature-t-il pas le contrat qu’il a passé avec l’assureur ?Quelles seraient alors les conséquences fiscales ?

Autant d’incertitudes qui conduisent à recommander d’éviter ce type de désignation. 

Conclusion.

Pour limiter les éventuelles contestations sur la prestation versée, il convient :

- De renseigner la désignation bénéficiaire de manière à ce qu’elle soit conforme aux souhaits de l’assuré et qu’elle évite toute erreur d’interprétation lors du règlement de la prestation (préciser les bénéficiaires par leur nom -à privilégier- ou qualité, indiquer la part réservée à chacun d’eux, préciser si leur bénéfice est conjoint ou successif, prévoir le sort des parts des éventuels prédécédés).

- D’anticiper la possible renonciation au bénéfice et, pour ce faire, avoir éventuellement recours à des clauses à options.

- De systématiquement terminer par la clause de sauvegarde « à défaut mes héritiers ».

Si la clause bénéficiaire est complexe, il est important de bien préciser par écrit les volontés du souscripteur de manière non juridique juste avant la clause bénéficiaire. Ceci permettra de faciliter toute recherche de l’interprétation de la volonté du stipulant.

Si l’assuré n’a pas de souhaits particuliers, on peut éventuellement utiliser la clause standard : « Le conjoint de l’assuré non séparé de corps, à défaut les enfants de l’assuré nés ou à naître, vivants ou représentés(préciser si vous voulez que la représentation s’applique aussi en cas de renonciation au bénéfice), à défaut les héritiers de l’assuré. » 

(1) Chargé d’Enseignement auprès de l’Ecole Polytechnique d’Assurances, chargé d’Enseignement à l’université Jean Moulin Lyon, auteur de « L’approche patrimoniale de l’assurance vie ». IS-Editions