Assurance vie

La désignation bénéficiaire : son utilité, son mécanisme, ses pièges (partie 1)

Pour l'assuré, la rédaction de la clause bénéficiaire est un moment fort dans le processus de souscription du contrat d’assurance - Retours sur plusieurs scénarios complexes mais assez fréquents en gestion de patrimoine sur lesquels il convient d'être prudent en matière de désignation.

La désignation bénéficiaire a pour objet de désigner un ou plusieurs bénéficiaires auxquels sera transmis le capital décès dans des conditions dérogatoires au droit des successions. Le souscripteur jouit, en principe, d’une grande liberté dans la rédaction d’une clause bénéficiaire. Il ne peut cependant exposer son acte juridique à des conséquences fiscales ou civiles qu’il n’aurait pas prévues ou même imaginées, par une clause contraire aux principes posés par le Code des Assurances et au fondement de la stipulation pour autrui.

De la même façon, le recours au droit des successions peut se révéler nécessaire pour interpréter la clause bénéficiaire d’un contrat et identifier les bénéficiaires de la prestation.

Enfin, une désignation bénéficiaire peut être interprétée à la lumière de celles rédigées antérieurement pour d’autres contrats et c’est ce que les juges du fond n’hésitent pas à faire lorsque la clause laisse ouverte la possibilité d’une interprétation. 

QUELQUES RAPPELS PRÉLIMINAIRES 

L'absence de désignation d’un bénéficiaire entraîne des conséquences sur les plans civil et fiscal.

En effet, à défaut de bénéficiaire déterminé (nom et prénom par exemple) ou déterminable (les héritiers, le conjoint…) au jour du décès, le contrat est valable mais le capital ou la rente garantis font partie du patrimoine ou de la succession de l’assuré (art. L. 132-11 du Code des assurances). Par conséquent, le contrat ne disposera pas de la fiscalité de l’assurance vie mais du régime de droit commun en matière de succession.

Lorsqu’un bénéficiaire est désigné, le capital ou la rente garantis ne font pas partie de la succession de l’assuré. Le bénéficiaire est réputé y avoir seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l’assuré (art. L. 132-12 du Code des assurances).

Les conséquences de la désignation d’un bénéficiaire sont précisées dans l’art. L. 132-13 du Code des assurances : « Le capital ou la rente payables au décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers de l’assuré (sous réserve que les primes ne soient pas manifestement exagérées). » 

Désignation : « Mon conjoint ».

Il s’agit de celui qui a cette qualité au jour du décès de l’assuré (art. L. 132.8 du Code des assurances). Le cas du mélange qualité-identité peut faire naître des contestations au jour du décès de l’assuré (voir infra).

Attention : un partenaire pacsé ou un concubin n'est pas un « conjoint » !

Pour évincer le conjoint séparé ou en instance de divorce il est nécessaire que cela soit prévu dans la désignation.

On pourra, par exemple, rédiger la clause ainsi : « Mon conjoint, non divorcé, contre lequel n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée et qui n'est pas engagé dans une instance en divorce ou séparation de corps, à défaut … ». 

Désignation : « Mes ayants droit ».

Selon la définition communément admise, un ayant droit est une personne bénéficiant d'un droit en raison de sa situation juridique, fiscale, financière, ou d'un lien familial avec le bénéficiaire direct de ce droit.

Attention : cette désignation bénéficiaire inclut donc de fait les héritiers, mais aussi les créanciers de l’assuré ! 

Désignation : « Mes héritiers ».

Pour Messieurs Picard et Besson, il faut entendre par « héritiers » « tous les successibles, non seulement les héritiers légitimes ou naturels, mais encore les successeurs irréguliers, dès lors que la mort de l’assuré les met en rang utile pour succéder ». Un arrêt de la Cour de Cassation du 4 avril 1978 a estimé que le terme « héritiers » englobait tous les successeurs et non pas seulement les héritiers ab intestat.

Par ailleurs, l’article L. 132-8 du Code des assurances précise que : « Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l'assurance en proportion de leurs parts héréditaires ». 

Désignation : « Mes héritiers légaux ».

Cela vise les enfants, les descendants et ascendants et le conjoint mais exclut les légataires. 

La notion d’héritier dans la succession et en assurance vie.

La réponse ministérielle Laffineur n°44814 en date du 28 juillet 2009 précise que la notion « d’héritier » au sens du Code civil et celle visée par le Code des assurances sont identiques.

Par contre, pour ce qui concerne la clause bénéficiaire, le libellé souvent retenu « d’héritiers ou d’ayants droit de l’assuré  » permet, selon la ministre, « d'englober non seulement les héritiers légaux mais aussi tous les successibles dont le légataire universel. En présence d'une telle clause, ces derniers ont donc vocation à bénéficier du capital décès sans que l'on puisse y voir une contradiction avec la notion d'héritier au sens du Code civil. »

Attention : lorsque les clauses bénéficiaires font uniquement référence aux « héritiers », les tribunaux sont parfois amenés à effectuer une interprétation de l'intention du souscripteur, ce qui est source d’insécurité majeure (cf. les exemples ci-après). Il faut donc en général préciser cette notion. 

Détermination du bénéficiaire par le nom ou par la qualité.

L’article L. 132-8 du Code des assurances précise que le bénéficiaire peut être désigné nominativement ou par sa qualité.

Lorsqu’il est déterminé par le nom, ce dernier doit être clairement indiqué dans la clause. Pour éviter toute erreur ou homonymie, il est utile d’y ajouter des éléments tels que la date de naissance ou le deuxième prénom (Exemple : M. Dominique de La Palque, né le 23 février 1955 à … demeurant à ...).

Lorsque le bénéficiaire est déterminé par sa qualité, celle-ci doit être sans ambiguïté et avoir un sens juridique. Il convient alors de privilégier : mon conjoint, mes enfants, mes héritiers. A proscrire, en revanche, mon concubin, mes cousins, mes amis, mes neveux. 

Eviter le mélange nom et qualité.

Il faut le plus souvent éviter le mélange qualité et identité. Ainsi, si Monsieur T désigne comme bénéficiaire de son contrat d’assurance vie « Mademoiselle Zouzou Jyvet mon assistante, à défaut mes héritiers » et qu’au jour de son décès Mademoiselle Zouzou n’est plus son assistante, est-elle encore bénéficiaire du contrat ? L’épouse de Monsieur T soutiendra évidemment que non alors que Mademoiselle Zouzou mettra en avant ses qualités personnelles qui l’on fait être désignée comme bénéficiaire, sa fonction d’assistante étant accessoire… Inévitablement, ce seront les juges qui seront amenés à trancher et il n’est exclu que l’ordre (qualité-identé vs identé-qualité) soit décisif dans la recherche d’interprétation de la volonté du souscripteur. 

La cause immorale ou illicite.

La désignation du bénéficiaire ne doit pas avoir une cause immorale ou illicite. Mais compte tenu de l’évolution du droit et des mœurs, la nullité de la clause bénéficiaire comme contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs devrait être exceptionnelle.

La cour de Cassation considère d’ailleurs comme valable le contrat d’assurance vie souscrit au profit de la maîtresse du souscripteur (Civ. 1, 25/01/2005, n°202 F-PB). 

Les cas de révocation de plein droit.

La désignation du bénéficiaire est révocable de plein droit :

- en cas d’ingratitude du bénéficiaire (tentative d’homicide sur la personne du souscripteur ou de l’assuré) ;

- si le bénéficiaire a été condamné pour avoir volontairement donné la mort à l’assuré (art. L. 132-24 du Code des assurances). 

Clauses bénéficiaires en présence d’enfants d’un autre lit.

L’attribution par la loi de droits en pleine propriété (1/4) s'il y a présence d’enfants d’un précédent mariage peut déjouer les prévisions d’un époux ayant fait une donation en usufruit seulement au conjoint pour protéger les droits des enfants du premier lit.

En effet, même si le cumul n’est pas possible, le conjoint peut renoncer à la donation.

La clause bénéficiaire ne devra pas renvoyer aux droits du conjoint sur la succession mais prévoir uniquement des droits en usufruit. Nous pouvons dégager deux objectifs différents (lire l'encadré). 

LES HÉRITIERS NE SONT PAS TOUJOURS CEUX QUE L’ON PENSE 

Le cas de Charlotte « la chouchoute ».

Monsieur Fraise, marié sans enfant, a trois nièces dont une qu’il préfère : Charlotte. Il souscrit un contrat d’assurance vie au bénéfice de : son conjoint, à défaut Charlotte. Il désigne Charlotte comme légataire universelle par testament. Il souscrit un autre contrat d’assurance au bénéfice de ses héritiers. Son épouse décède. Il décède.

La compagnie paye le bénéfice des deux contrats à Charlotte ..., les deux autres nièces attaquent … et obtiennent in fine gain de cause. On se rend compte, dans cet arrêt, que les contrats précédemment souscrits et les dispositions testamentaires peuvent influer sur le sens à donner au terme « héritiers ». D’où l’importance de bien rédiger les clauses bénéficiaires pour ne pas être soumis à l’interprétation que peuvent faire les juges d’une clause imprécise ou équivoque (lire l'encadré). 

Décédé trop tôt … ou le cas du décès du bénéficiaire après l’assuré mais avant l’acceptation.

Philippe, bénéficiaire d’un contrat, décède après l’assuré mais avant d’avoir pu accepter le bénéfice du contrat.

La clause bénéficiaire était : « à mon fils Philippe ».

Qui est bénéficiaire ?

Quelle est la fiscalité des capitaux décès ?

A la lumière des arrêts de la Cour de cassation du 5 novembre 2008 et du 17 septembre 2009, la réponse est : Les héritiers de Philippe avec la fiscalité de l’assurance vie (lire l'encadré).  

(1) Chargé d’Enseignement auprès de l’Ecole polytechnique d’assurances et à l’université Jean Moulin Lyon 3.