Avoirs bancaires / Assurance vie

La déshérence des capitaux devrait s’inviter au prochain menu législatif

La Cour des comptes a présenté un rapport à l'Assemblée nationale visant à rendre efficient le transfert de ces fonds à l’Etat au bout de 30 ans - L’enjeu est de taille pour les assureurs et les banques qui perdraient des sommes chaque année plus importantes à leur bilan.

Le 17 juillet dernier, la Cour des comptes a présenté un rapport sur les avoirs bancaires et les contrats d’assurance vie en déshérence aux députés membres de la Commission des Finances de l'Assemblée nationale. 

Un enjeu croissant.

Que ce soit chez les assureurs ou dans les établissements bancaires, l’encours des actifs non réclamés est sous-évalué mais en constante croissance. Cette sous-évaluation s’expliquerait, côté bancaire, par un cadre juridique lacunaire conduisant les établissements à une certaine souplesse dans la gestion des comptes inactifs puis en déshérence. Ainsi, la Cour des comptes a recensé environ 1,8 million de compte inactifs représentant un encours de 1,6 milliard d'euros.

Les assureurs ne sont pas meilleurs élèves : ils ont ainsi tenu compte – avant de rechercher les bénéficiaires – de critères restrictifs qui ne figurent pas dans les textes de loi tenant, entre autres, à l'âge du souscripteur et à l'encours du contrat.

« L’enjeu est important, est-il précisé dans le rapport, dans la mesure où l’âge moyen des décès s’élève à 80 ans dans les entreprises interrogées et que les contrats de moins de 2.000 euros représentent entre 20 % et 30 % de l’ensemble des contrats d’assurance vie. »Le rapport révèle qu’une compagnie ayant étendu ses consultations à l’ensemble de ses assurés, comme le prévoit la loi, a multiplié par dix, d’une année sur l’autre, le nombre d’assurés identifiés comme étant décédés. La Cour des comptes chiffre à 2,76 milliards d’euros le phénomène de la déshérence en assurance vie au titre de 2011, ce qui revient, souligne-t-elle, à « plus du double de la dernière estimation effectuée dans un rapport du gouvernement au Parlement ». A l’occasion de la présentation du rapport devant les parlementaires, son président a tenu à relativiser le résultat communiqué en ce qu’il repose sur des « données partielles donc fragiles ». La Cour en conclut que le nombre de contrats non réclamés « est susceptible de gonfler significativement dans un avenir proche ».

Afin d’accélérer le traitement de ces contrats par les compagnies d’assurances, le rapporteur de la Commission des Finances de l'Assemblée nationale a annoncé qu’il présenterait prochainement une proposition de loi.  

Obligation de transfert à la CDC.

La Cour des comptes recommande donc le transfert à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) des comptes bancaires inactifs de personnes décédées au bout de deux ans et des personnes vivantes à l'issue d’un délai de dix ans et de cinq à dix ans en assurance vie.

Il s’agirait donc d’une obligation pour les banques et non plus une faculté, très peu pratiquée à ce jour par ces dernières comme la prescription acquisitive de 30 ans à l’Etat. « Cette mesure aurait un impact limité sur le bilan des établissements de crédit, même s'il n'est pas exclu que les effets soient plus sensibles pour certains établissements », note la Cour des comptes. La profession bancaire est contre cette obligation, affirmant qu'elle est en mesure de gérer ces comptes, et le serait d'autant plus s'il existait un cadre juridique clair et précis prévoyant notamment les conditions d'une information spécifique du client et un renforcement des contrôles.

Cependant, la Cour estime que le renforcement du rôle de la CDC permettrait de garantir les droits des épargnants tout en paliant les insuffisances des établissements bancaires qui ne respectent pas les obligations de conservation des documents du fait de contraintes informatiques, de gestion d'archives papier ou de fusions entre différentes entités. Ainsi donc, les titulaires de comptes ou leurs ayant droits seraient assurés de voir leur capital préservé et, de son côté, l'Etat disposerait effectivement des sommes non réclamées au bout de 30 ans.

Enfin, le président de la Cour des comptes a fait valoir qu'une telle initiative serait le moyen de disposer d'un interlocuteur unique pour les détenteurs de ces sommes. 

Renforcer l’information du client.

Le transfert à la CDC n'interviendrait qu'après une information complète du client par sa banque qui se traduirait par une information annuelle sur les conséquences de l'inactivité du compte et une information spécifique par lettre recommandée avec accusé de réception au terme des dix ans d'inactivité du compte avant transfert à la CDC.

La Cour a également recommandé de renforcer une nouvelle fois l'information délivrée aux assurés. Il s’agit d’ailleurs d’un besoin qui est plus largement partagé. Valérie Dervieux, première vice-procureure de la République près le Tribunal de grande instance de Pontoise s’est ainsi exprimée en faveur de l’amélioration de l’information transmise au bénéficiaire (1). Elle fait notamment valoir que l’imprécision du texte quant à la détermination des « pièces nécessaires au paiement rend incertain le point de départ du délai d’un mois ». Elle propose notamment d’assortir cette obligation de paiement dans ce délai d’une nouvelle obligation qui tiendrait en ce que l’assureur transmette au bénéficiaire la liste des pièces nécessaires dans un délai sanctionné de quinze jours à compter de la notification du décès de l’assuré.  

Revalorisation du capital et plafonnement des frais de gestion.

Les Sages soulignent la nécessité de plafonner par voie législative les frais de gestion prélevés par les banques à l'image de ce qui a été fait dernièrement pour les frais bancaires applicables aux incidents de paiement. En effet, elle constate que la réticence des banques à transférer spontanément les sommes à la CDC peut en partie s'expliquer par le prélèvement de frais de gestion qui viennent imputer le capital au fil des années. Elle préconise donc de fixer ces frais à un niveau qui n'entame pas de manière excessive le capital.

Par ailleurs, elle recommande également que les sommes transférées à la CDC fassent aussi l'objet d'une disposition législative garantissant que les frais de gestion prélevés ne puissent l'être que dans la limite de la rémunération perçue sur le compte inactif afin d'en préserver le capital.

Quant aux contrats d’assurance vie, il est question d'imposer aux assureurs que la revalorisation du capital soit effectuée dans les mêmes conditions avant et après le décès du souscripteur.  

Point de départ de la prescription.

La Cour des comptes préconise de retenir comme date de départ de la prescription la date du dernier mouvement de compte intervenu à l'initiative du titulaire du compte afin de mettre un terme aux pratiques hétérogènes des banques qui conduisent dans les faits à retarder la prescription décennale. Par ailleurs, les banques seraient tenues de justifier auprès de la CDC de la date de départ de la prescription. A noter également qu’en matière d’assurance vie, les bénéficiaires auraient 30 ans, contre 10 aujourd'hui, pour réclamer leur dû. 

Ficovie et RNIPP.

A l’occasion des échanges entre les parlementaires et la Cour des comptes, la mise au point d’un fichier Ficovie sur le modèle du fichier des détenteurs de comptes bancaires (Ficoba) a aussi été évoquée, notamment pour identifier les bénéficiaires.A titre préventif, il a été avancé la nécessité de renforcer le rôle des notaires en rendant obligatoire la consultation de ce fichier.

Par ailleurs, les auteurs du rapport proposent d’obliger les banques à consulter annuellement, comme c’est le cas pour les assureurs, le Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) afin d’être informées systématiquement du décès de leurs clients. Une disposition qui n’est pourtant pas efficiente pour les assureurs et conduit les rapporteurs à préconiser d’autoriser l’utilisation par les compagnies du numéro d’inscription au RNIPP pour identifier les assurés décédés et rechercher les bénéficiaires. Un travail est actuellement mené par la Cnil avec les représentants des compagnies d’assurances afin d’élaborer une autorisation unique relative entre autres aux destinataires des informations.  

Mise en œuvre des prérogatives de l’ACP.

D’après les auteurs du rapport, les contrôles diligentés par l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) « revêtent une efficacité réelle dans la mesure où les suites qui leur sont données permettent dans la majorité des cas l’adoption de mesures correctrices ».

Il n’en reste pas moins qu’au cours de la présentation du rapport aux députés, l’un d’entre eux a pointé l'absence de sanctions de l'ACP. Le rapport complète sur ce point ces manquements à la loi du 17 décembre 2007 constatés dans des organismes d’assurance en 2011 ou 2012, qui « ont perduré quatre à cinq ans sans faire l’objet ni de mesures de police administrative, ni de l’ouverture de procédures disciplinaires. »A ce propos, le président de la Cour a « souhaité que l'ACP se saisisse de la plénitude des prérogatives qui sont les siennes ».  

(1) AJ Famille juin 2013, pp. 371-373.

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