Protection du patrimoine / Assurance vie et fiducie

Deux dispositifs aux vertus insaisissables

Maïder de Los Santos et Pierre-Alain Guilbert chez 14Pyramides Notaires
Le contrat d’assurance vie est par nature et par principe hors de la portée des créanciers de même que les biens mis en fiducie qui ne sont plus la propriété du constituant
Mais le législateur a ouvert des brèches autorisant un certain nombre d’actes de saisie en assurance vie et des limitations en matière de fiducie
Pierre-Alain Guilbert et Maïder De Los Santos

« Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir », rappelle clairement l’article 2284 du Code civil. Le principe du droit de gage général des créanciers sur le patrimoine du débiteur connaît cependant deux dérogations notables : la valeur de rachat des contrats d’assurance vie échappe en effet à ce gage, de même que les biens transférés à un patrimoine fiduciaire. Ces deux techniques permettent donc, chacune dans le champ d’application qui lui est propre, de rendre des biens ou valeurs purement et simplement insaisissables, sous réserve de quelques exceptions.

DE L’INSAISSISSABILITÉ DE L’ASSURANCE VIE

Fondement de l’insaisissabilité du contrat d’assurance vie.

Improprement dénommé, le « droit de rachat » est le droit dont bénéficie le souscripteur d’un contrat d’assurance vie de retirer tout ou partie des capitaux placés ou des produits capitalisés. Mais s’agit-il pour autant d’un droit de créance saisissable ?

Pour qu’un créancier puisse procéder à l’exercice du droit de rachat aux lieu et place du souscripteur et saisir les capitaux assurés, il faudrait qu’il puisse se prévaloir de son action oblique afin d’exercer les droits de son débiteur contre la compagnie d’assurances. Or, l’action oblique ne peut pas porter sur des droits personnels et une partie importante de la doctrine (1) ainsi que la Cour de cassation qualifient précisément l’exercice du droit de rachat de droit personnel. La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 octobre 1994, a ainsi décidé que :

« - attendu que la demande de rachat, en exécution de laquelle le souscripteur d’une police d’assurance sur la vie obtient de l’assureur le versement immédiat du montant de sa créance, par un remboursement qui met fin au contrat, constitue une révocation de la désignation du bénéficiaire ;

- que, selon le deuxième des textes susvisés, tant que l’acceptation de ce dernier n’a point eu lieu, le droit de révoquer la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé n’appartient qu’au stipulant et ne peut, en conséquence, être exercé de son vivant par ses créanciers ni par ses représentants légaux ;

- que le droit de rachat est ainsi un droit exclusivement attaché à la personne du souscripteur que le syndic de la liquidation de ses biens ne peut exercer », le droit de demander le rachat étant personnel, les créanciers ne peuvent l’exercer en lieu et place de leur débiteur.

Le contrat d’assurance vie est donc par nature et par principe hors de la portée des créanciers, contrairement aux contrats et bons de capitalisation qui ne comportent pas de bénéficiaires déterminés.

Limites à l’insaisissabilité du contrat d’assurance vie.

Le législateur a tout d’abord ouvert une première brèche en prévoyant que les sommes placées sur un contrat d’assurance vie peuvent être saisies en présence d’une enquête pénale ouverte contre le souscripteur : « Lorsque la saisie porte sur une créance figurant sur un contrat d’assurance sur la vie, elle entraîne la suspension des facultés de rachat, de renonciation et de nantissement de ce contrat, dans l’attente du jugement définitif au fond. Cette saisie interdit également toute acceptation postérieure du bénéfice du contrat dans l’attente de ce jugement et l’assureur ne peut alors plus consentir d’avances au contractant. Cette saisie est notifiée au souscripteur ainsi qu’à l’assureur ou à l’organisme auprès duquel le contrat a été souscrit. » (2)

L’article 41 de la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a ensuite remis en cause la jurisprudence de la Cour de cassation en autorisant expressément, à compter du 8 décembre 2013, le recours à des actes de saisie sur les sommes versées sur certains contrats d’assurance vie. L’article L. 263-0 A du Livre des procédures fiscales prévoit désormais que « peuvent faire l’objet d’un avis à tiers détenteur notifié par le comptable chargé du recouvrement, dans les conditions prévues aux articles L. 262 et L. 263, les sommes versées par un redevable souscripteur ou adhérent d’un contrat d’assurance rachetable, y compris si la possibilité de rachat fait l’objet de limitations, dans la limite de la valeur de rachat des droits à la date de la notification de l’avis à tiers détenteur (ATD) ».

Sont expressément autorisés les actes de saisie suivants :

- l’avis à tiers détenteur pour le recouvrement d’impôt, tant en principal qu’en pénalités, frais ou accessoires ;

- les oppositions à tiers détenteur pour le recouvrement des créances des collectivités territoriales ;

- les saisies à tiers détenteur, pour le recouvrement des produits divers de l’Etat ;

- les oppositions administratives, pour le recouvrement des amendes et condamnations pécuniaires.

Seuls les contrats rachetables sont cependant visés. Par ailleurs, l’assiette de la saisie est doublement plafonnée dans la mesure où elle ne peut s’exercer qu’à concurrence du montant des primes versées et ne peut excéder la valeur de rachat du contrat à la date de notification de l’avis (ce qui vise le cas d’un contrat en perte ou ayant fait l’objet d’un rachat partiel). En revanche, si l’on veut bien considérer qu’en pratiquant une telle saisie, le comptable public exerce la faculté de rachat aux lieu et place du souscripteur, alors la saisie fait naître la créance de rachat. La Cour de cassation a d’ailleurs considéré, à l’occasion de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, que la valeur de rachat constitue une créance du souscripteur à l’égard de l’assureur, entrée dans son patrimoine sous réserve qu’il n’ait pas renoncé à la faculté de rachat au jour de la notification de l’ATD (3).

Le principe selon lequel un ATD ne peut être pratiqué sur une créance éventuelle (sur ce principe, voir notamment C. cass., chambre commerciale, 13 mars 2001) n’est donc pas affecté. En revanche, la possibilité de pratiquer une telle saisie remet partiellement en cause le caractère personnel que la Cour de cassation reconnaît au droit de rachat. L’assureur devra veiller scrupuleusement à ce que les conditions posées par le texte soient réunies afin d’être valablement libéré à l’égard du souscripteur. A ce sujet, les assureurs craignent d’ailleurs d’avoir à verser les capitaux assurés à la fois au comptable des finances publiques au titre de l’ATD et au souscripteur, ou au bénéficiaire, ou encore créancier nanti ou au délégataire. Bien que ce risque, évidemment favorable au souscripteur et éminemment dangereux pour les compagnies d’assurances, soit contraire à l’esprit de l’article L. 263-0 A du Livre des procédures fiscales, on ne peut exclure que la jurisprudence ne le mette en application. Il est donc souhaitable que le législateur modifie le texte pour préciser qu’un ATD entraîne le rachat d’office du contrat dans la limite de la valeur de rachat à la date de la notification de l’ATD.

Hormis ces deux exceptions introduites par le législateur fiscal et pénal, les sommes placées sur un contrat d’assurance vie sont purement et simplement insaisissables. Reste que l’assurance vie a un champ limité aux actifs financiers et aux liquidités. De ce point de vue, la fiducie ouvre des perspectives intéressantes puisque les catégories d’actifs pouvant être transférées sont plus nombreuses.

DE L’INSAISSISSABILITÉ DES BIENS TRANSFÉRÉS DANS UN PATRIMOINE FIDUCIAIRE

Inspirée du trust anglo-saxon, la fiducie a été réintroduite dans notre droit civil en 2007 après plusieurs siècles d’absence. D’abord exclusivement envisagée comme une sûreté, rôle qu’elle remplit avec une efficacité incomparable, la fiducie présente également de nombreuses utilités en matière de gestion et de transmission de patrimoine. Elle peut, dans certains cas, remplacer avantageusement le mandat de protection future ou le mandat à effet posthume et permet de confier la gestion de certains biens ou valeurs à des professionnels qualifiés tout en protégeant le constituant et ses ayants droit.

La fiducie est définie par l’article 2011 du Code civil comme « (…) l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ». Les biens mis en fiducie par le constituant ne sont donc plus sa propriété, ce qui explique qu’ils échappent, sous les réserves que nous verrons ci-dessous, à ses créanciers. Cela est confirmé par l’article 2025 du Code civil qui dispose que « sans préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d’un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie et hors les cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine (...) ».

La fiducie a un champ d’application plus large que les contrats d’assurance vie – même de droit luxembourgeois – puisque peuvent être transférés tous types de biens, droits ou sûretés, qu’ils soient mobiliers, immobiliers, corporels ou incorporels. Cela étant, trois limitations sont prévues :

- Tout d’abord le cas de la fraude. Il s’agira par exemple de l’entrepreneur qui constitue une fiducie alors que son entreprise périclite.

- Ensuite l’article L. 632-1 9° du Code de commerce prévoit que le transfert fiduciaire est nul de plein droit s’il a été consenti par un débiteur en cessation de paiement.

- Enfin, troisième limitation : même si la fiducie a été constituée avant que le débiteur ne soit en difficulté, l’article L. 641-12-1 du Code du commerce dispose que  « si le débiteur est constituant et seul bénéficiaire d’un contrat de fiducie, l’ouverture ou le prononcé d’une liquidation judiciaire à son égard entraîne la résiliation de plein droit de ce contrat et le retour dans son patrimoine des droits, biens ou sûretés présents dans le patrimoine fiduciaire ».

On observera ici que deux de ces exceptions ne visent que le constituant entrepreneur. Par ailleurs s’agissant de la troisième limitation, elle ne s’applique que sous la condition que le constituant soit le débiteur et qu’il soit le seul bénéficiaire. On pourrait donc probablement conseiller au constituant de désigner un ou plusieurs autres bénéficiaires. Cette désignation devra cependant pouvoir être justifiée par de sérieux motifs afin d’exclure toute qualification de fraude. On songe par exemple à la désignation des enfants du constituant en qualité de créanciers d’une obligation alimentaire, ou à son conjoint en qualité de créancier du devoir de secours. Le fiduciaire aurait alors, entre autres, pour mission d’assurer ces obligations pécunières du constituant en ses lieu et place. Comparée à l’assurance vie dont les supports en euros ou en unités de compte ont vocation enrichir le souscripteur, la fiducie présente l’inconvénient comparatif d’engendrer des coûts de constitution et de gestion importants. Le fiduciaire peut toutefois avoir pour mission de faire fructifier les biens ou valeurs transférés dans son patrimoine. Il pourrait même placer les actifs fiduciaires sur… un contrat de capitalisation qui serait de ce fait insaisissable !

 

(1) V. notamment M. Bichon-Lefeuvre, JCPN n° 25, 25 juin 1999, p. 1010, « De l’insaisissabilité des fonds placés en assurance vie  » ; Picard et Besson, Traité des assurances terrestres, t. IV, n°153).

(2) Code de procédure pénale article 706-155.

(3) Cass. com., 9 juill. 2015, n°15-40.017 QPC, F-D, Mme Lloyd.