Clause bénéficiaire : la volonté de modification prévaut sur la forme

La Cour de cassation valide la modification par avenant au contrat du bénéficiaire initialement désigné par testament
Aucun parallélisme ne s’impose entre la forme choisie pour la désignation initiale et celle retenue pour la modification
Michel Leroy, maître de conférence à l’université de Toulouse

Dans un récent arrêt du 3 avril 2019 (1), la Cour de cassation a eu l’occasion de rendre une décision relative à la modification du bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie. Les faits sont les suivants : le souscripteur de deux contrats d’assurance vie conclus en juillet 1997 désigne comme bénéficiaires son épouse pour l’usufruit et ses enfants pour la nue-propriété, dans un testament authentique d’août 1997. En 2005 et 2006, il modifie les bénéficiaires par avenants à ces contrats, et désigne son épouse et, à défaut, trois de ses cinq filles.
 A son décès, les assureurs versent les capitaux décès à son épouse. Une des filles du défunt conteste la validité des modifications des clauses bénéficiaires et assigne sa mère, ses sœurs et les assureurs pour obtenir sa part dans les capitaux décès.

Arrêt d’appel. La cour d’appel de Bordeaux rejette sa demande. Elle énonce que « selon l’article L 132-8 du Code des assurances, à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le cocontractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre ». Puis les juges du fond retiennent que les avenants modificatifs étaient valables, le souscripteur ayant manifesté la volonté certaine et non équivoque de modifier la désignation testamentaire initiale par des avenants au profit de son épouse et, à défaut, de ses trois filles.

Pourvoi. La requérante invoque le non-respect par les juges de l’article 1035 du Code civil, qui dispose que « les testaments ne pourront être révoqués, en tout ou en partie, que par un testament postérieur ou par un acte devant notaires portant déclaration du changement de volonté ». Selon elle, le souscripteur d’un contrat d’assurance vie qui a désigné le bénéficiaire de ce contrat dans un testament ne peut révoquer ce testament que par l’une des formes prévues par l’article 1035 du Code civil.
 De l’avis de Michel Leroy, maître de conférence à l’université de Toulouse, « la volonté non équivoque du souscripteur de modifier le bénéficiaire semblait acquise, si bien qu’en l’absence d’un débat sur le fond la requérante s’est focalisée sur une question de forme ».

Confirmation de la Cour de cassation. La Cour de cassation confirme la décision. Selon elle, « la cour d’appel a exactement décidé que les avenants modificatifs étaient valables dès lors que la modification des bénéficiaires peut intervenir soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du Code civil, soit par voie testamentaire, sans qu’il soit nécessaire de respecter un parallélisme des formes entre la voie choisie pour la désignation initiale et celle retenue pour la modification ».
 Cette solution est logique, mais néanmoins intéressante, « car elle rappelle que si la désignation bénéficiaire peut figurer dans un testament, elle reste une désignation bénéficiaire et ne devient pas une disposition testamentaire en elle-même », estime Michel Leroy. « Le testament n’est que le réceptacle, le véhicule d’une volonté autonome régie par le droit de l’assurance vie », ajoute-t-il.

Parallèle intéressant. Michel Leroy rapproche cette solution d’une précédente décision dans laquelle la Cour de cassation a jugé qu’une personne en curatelle, bien que libre d’exprimer sa volonté par testament, ne pouvait modifier le bénéficiaire de son contrat d’assurance vie désigné dans le testament qu’avec l’assistance du curateur (2). « Dans cette décision, la Cour de cassation avait fait primer l’article L 132-4-1 du Code des assurances, imposant l’assistance du curateur pour désigner ou modifier le bénéficiaire, sur l’article 470 du Code civil posant le principe de la liberté de la personne en curatelle pour tester. Elle semble aujourd’hui faire primer l’article L 132-8 du Code des assurances sur l’article 1035 du Code civil », indique Michel Leroy, consacrant ainsi l’idée d’un droit de la désignation bénéficiaire ayant sa propre économie.


(1) Cass. 1e civ., 3 avr 2019, n° 18-14.640.
(2) Cass. 2e civ., 8 juin 2017, n° 15-12.544.