AU FIL DU PATRIMOINE

Le crowdfunding en ébullition

Le marché passe à la vitesse supérieure dans un contexte d’accroissement de la compétition européenne.
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Alors qu’on le disait encore de niche il y a deux ans, le crowdfunding s’installe durablement comme une forme de financement et d’investissement alternative.

L’année dernière, près de 2 milliards d’euros de projets ont été financés via les plateformes de financement participatif, tous secteurs confondus. Un chiffre en augmentation de 84 % par rapport à 2020, mais à relativiser comparé à la taille du marché financier, comme les 23,7 milliards d’euros de collecte de l’assurance-vie en 2021 par exemple (source : France Assureurs, collecte nette 2021).

Faisant fi de ces comparaisons peu flatteuses, les plateformes ont mis les bouchées doubles cette année pour passer à la vitesse supérieure. Acquisitions, innovations produits et même levées de fonds record : les derniers mois ont vu s’enchaîner une ribambelle d’annonces. Le tout sur fond d’ouverture à la concurrence européenne très proche puisque les plateformes doivent obtenir le nouvel agrément de prestataire de service de financement participatif (PSFP) d’ici au 10 novembre 2023.

Beaucoup d’enjeux donc pour un marché encore très jeune. Alors qu’il n’a même pas encore soufflé sa dixième bougie, le financement participatif entame déjà sa mue.

Acquisitions en série

L'année 2022 a marqué le début des grandes manœuvres de rapprochements. Jusque-là, le marché avait surtout su attirer des capitaux de grands groupes, permettant à quelques plateformes de se lover dans l’escarcelle d’acteurs aux poches bien remplies (Homunity a intégré Tikehau Capital en 2019, Fundimmo a rejoint Atland la même année, en 2021, Baltis rejoignait le groupe Magellim et Lendosphere adoptait les couleurs de 123 IM…).

Désormais, fini de se regarder en chiens de faïence, les plateformes passent à l’attaque et se rachètent… entre elles. October, spécialisée dans le prêt aux entreprises, a ouvert le bal en mai dernier en rachetant son concurrent Credit.fr des mains de Tikehau Capital. Le groupe de capital-investissement a lui-même pris des parts dans le nouvel ensemble qui représente 860 millions d’euros prêtés à 3.100 TPE et PME, réparties dans cinq pays d’Europe (France, Espagne, Italie, Pays-Bas et Allemagne). La transaction ne concernait en revanche pas Homunity, pourtant filiale de Credit.fr.

En juin, c’était au tour de la néerlandaise Lendahand de renchérir en faisant, pour l’occasion, ses premiers pas dans l’Hexagone. Elle a mis la main sur la plus vieille plateforme française, Babyloan, spécialisée dans le micro-prêt à impact social. Cette dernière a fini par rendre l’âme après des années de déshérence et de tentatives de survie en revoyant son business model. Son fonds de commerce a été cédé pour une somme inconnue. Les clients seront progressivement transférés vers Lendahand avant que la marque Babyloan ne s’éteigne définitivement d’ici à la fin de l’année.

Le fondateur de Baltis a lui aussi misé sur une plateforme endormie pour mettre la main sur un portefeuille clients déjà constitué. En septembre, Alexandre Toussaint annonçait en exclusivité dans nos colonnes le rachat de Proximea. La plateforme de crowdfunding du Grand Ouest, propriété de la Banque Populaire locale, était en sommeil depuis 2020. En cinq ans d’existence, elle a financé 22 opérations pour un montant de 15 millions d’euros. Surtout, elle a su convaincre 3.200 clients patrimoniaux de lui faire confiance. Une manne pour Baltis, qui travaille déjà avec une trentaine de conseillers en gestion de patrimoine (CGP) et qui compte bien développer son réseau de partenaires. A l’inverse de Babyloan, Proximea perdurera : « Baltis continuera de financer des projets à Lille, Paris et Lyon, et Proximea se consacrera à tout l’Arc Atlantique », expliquait alors Alexandre Toussaint. Deux ouvertures de bureaux sont prévues, une à Nantes et l’autre à Bordeaux, avec des recrutements de chasseurs (de projets, d’investisseurs et de CGP).

A noter qu’en juillet, Raizers était elle aussi la cible d’un rachat, mais par Empruntis et non par un concurrent direct. Le spécialiste du regroupement de crédits possède deux autres plateformes, Pretup et Unilend. Lui-même est détenu à 70 % par le fonds Bridgepoint, qui détient également des parts dans Cyrus Conseil et Primonial. Deux acteurs majeurs de la gestion de patrimoine dont Raizers aimerait se rapprocher.

Levée de fonds record

Alors que ses concurrents se rachetaient les uns les autres, ClubFunding s’affairait dans son coin à un tout autre projet. La plateforme, qui revendique la première place du crowdfunding immobilier en France, a annoncé fin septembre une levée de fonds de 125 millions d’euros. Les investisseurs qui ont mis au pot sont Florac Investissements, Peninsula Capital, EMZ Partners et Bpifrance. Cette somme, record dans le milieu, est censée permettre à ClubFunding de s’européaniser rapidement (la Belgique, l’Espagne et le Portugal sont notamment dans le viseur) et de poursuivre sa stratégie de diversification. Via sa société de gestion créée en 2020, elle a déjà lancé deux fonds communs de placement à risque (FCPR). Le groupe, composé de sept filiales, indiquait dans son communiqué de levée de fonds vouloir « créer de nouveaux produits d’investissements sécurisés et accessibles depuis une plateforme unique ».

C’est donc une année chargée en actualités qui s’achève bientôt pour le crowdfunding. En parallèle de cette effervescence, les plateformes ont l’œil rivé sur leurs concurrentes européennes qui pourraient bientôt débarquer dans l’Hexagone grâce à l’agrément PSFP. Pour l’heure, seules six plateformes européennes, dont la française Villyz, l’ont obtenu. Selon nos informations, un deuxième acteur tricolore l'aurait décroché mais n’a pas encore communiqué sur ce sujet. 


LE CROWDFUNDING IMMOBILIER EN CHIFFRES

Céline Mahinc, conseillère en gestion de patrimoine et dirigeante du cabinet Eden Finances, a mené une étude sur le marché du crowdfunding immobilier. Depuis 2015, 2,3 millions d’euros ont été levés pour financer quelque 3.256 projets. D’une durée moyenne de 26 mois, les projets sont principalement de la promotion et du marchand de bien, essentiellement dans le domaine du résidentiel. Les porteurs de projets ont levé 2,1 millions d’euros en moyenne. Selon le baromètre Hellocrowdfunding, la collecte 2022 dépasse déjà légèrement les 953 millions d’euros. L’an dernier, ce sont 958 millions qui ont été levés par les plateformes pour des projets immobiliers.