Credit Suisse s’achète du temps pour éviter la vente à la découpe

Aurélie Abadie
En empruntant auprès de la banque centrale, le groupe helvète veut rassurer sur sa liquidité. Mais l’issue d’une prise de contrôle par UBS ne peut plus être écartée.
(Crédit Suisse / ParadePlatz / à Zurich / Photo Credit Suisse.)

Credit Suisse court après le temps. La banque suisse, qui peine à sortir de la tourmente depuis trois ans, ne convainc pas les investisseurs sur sa capacité à se redresser.

Au terme d’une journée noire mercredi 15 mars, Credit Suisse a ainsi annoncé jeudi qu’il allait «exercer son option» pour emprunter jusqu’à 50 milliards de francs auprès de la Banque nationale suisse. «Une action décisive pour renforcer» la banque «tandis qu’elle poursuit sa transformation stratégique», a martelé son directeur général Ulrich Körner. Une dernière tentative pour rassurer sur sa liquidité et mener à bien sa restructuration.

L’avenir de Credit Suisse semble, en effet, ne plus tenir qu’à un fil. Depuis des mois, la nouvelle direction de la banque se débat pour restaurer la confiance, après une série de scandales et d’erreurs dans la gestion des risques qui ont terni sa réputation. Mais ni les clients, qui ont massivement retiré leurs fonds à l’automne dernier, provoquant une décollecte historique dans sa gestion de fortune, ni les investisseurs ne semblent y croire.

Même son premier actionnaire, la Saudi National Bank, qui avait renforcé sa part au capital de la banque suisse, n’ira pas plus loin. Il ne peut pas dépasser le seuil de 10% du capital.

Les décideurs politiques s’en mêlent

Le problème n’est pas la solidité de Credit Suisse qui «répond aux critères de capital et de liquidité imposés aux banques systémiques», ont martelé les autorités financières locales ce mercredi. Le ratio de capital CET 1 de la banque suisse atteignait, en fin d’année, 14,1% et son ratio de liquidité LCR, 144%.

Mais le problème Credit Suisse commence à faire tache d’huile sur l’ensemble du secteur bancaire européen. Depuis le choc de la guerre en Ukraine et le krach obligataire de l’automne 2022 sur les marchés britanniques, les marchés sont à l’affût du moindre signal annonçant la prochaine crise bancaire. Et contrairement à SVB, une banque régionale américaine de taille moyenne, Credit Suisse est un établissement de taille systémique. Mercredi, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire a ainsi passé un coup de fil à son homologue suisse, après que les banques françaises ont dévissé en Bourse, conduisant Euronext à suspendre la cotation de BNP Paribas.

Ce jeudi 16 mars, le gouvernement suisse devait, quant à lui, tenir une réunion extraordinaire pour évoquer la situation de la banque. Tous y pensent : il est temps d’agir pour éviter le pire.

Le filet de sécurité proposé par la banque centrale «ne sera pas suffisant» pour calmer les esprits et remettre Credit Suisse sur les rails, jugent ainsi les analystes de JPMorgan. Car cette crise est d’abord une crise de «confiance des marchés vis-à-vis de la restructuration de la banque d’investissement et l’érosion du fonds de commerce» de la banque, soulignent-ils. Alors que la banque a déjà averti qu’elle s’attendait à une nouvelle perte «significative» en 2023, «le statu quo n’est plus une option», estiment les analystes.

Sauvetage public ou vente à la découpe ?

Dès lors, plusieurs scénarios sont sur la table. Credit Suisse pourrait tenter de se sortir seul de l’ornière en fermant sa banque d’investissement, pour un coût douloureux de 10 milliards de francs suisses, tout en levant de l’argent frais grâce à une introduction en Bourse partielle de sa banque commerciale en Suisse (CS), dont les profits avant impôt se sont élevés à 1,6 milliard de francs suisses en 2022. Une option longue et coûteuse qui «pourrait ne pas être suffisante pour rassurer les marchés», pointe l’analyste de JPMorgan.

La deuxième option consisterait en un sauvetage de la part de la Banque nationale suisse, qui interviendrait pour garantir tous les dépôts ou bien injecter du capital pour soutenir Credit Suisse le temps que la banque mène à bien sa restructuration. Ce scénario ferait toutefois peser un risque sur le contribuable suisse… et pourrait donc ne pas plaire au gouvernement.

La troisième option, qui est jugée aujourd’hui «la plus probable » par les analystes, est celle d’une prise de contrôle, probablement par sa rivale UBS. La presse avait déjà rapporté il y a quelques semaines la tenue de discussions à ce sujet, à l’initiative du gouvernement suisse. Une information qui n’avait pas été confirmée. Dans ce scénario, UBS pourrait opter pour une scission ou une introduction en Bourse des activités de banque commerciale suisse et une fermeture totale de la banque d’investissement grâce à l’atout que constitue un écart d’acquisition négatif (badwill) de 30 milliards de francs suisses. UBS ne conserverait donc que les joyaux de Credit Suisse, c’est-à-dire la gestion de fortune et la gestion d’actifs.

Mais les activités de Credit Suisse et d’UBS se chevauchent fortement, sur le segment des très grandes fortunes (au-delà de 50 millions de dollars) ainsi que de la clientèle suisse et asiatique. De quoi rendre l’opération moins attractive pour UBS… mais aussi susciter des réserves du régulateur en matière de concentration du marché.