Assurance vie

Une subtile et fragile ingénierie de transmission

L’actualisation de la désignation bénéficiaire des contrats d’assurance vie est désormais surveillée de près par l’ACPR
La bonne adaptation de la clause à la situation du client dépendra également de sa bonne rédaction, un exercice qui requiert de nombreux réflexes
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A qui revient le patrimoine d’un particulier le jour de son décès ? Deux corps de règles distincts régissent la dévolution des biens : tout d’abord le droit des successions au travers des règles du Code civil, ensuite le Code des assurances concernant la dévolution des sommes attribuées via un contrat d’assurance vie.

En matière d’assurance vie, le souscripteur devra désigner un bénéficiaire. C’est d’ailleurs une condition sine qua non de l’application de ses règles spécifiques, à savoir notamment que le capital décès n’appartient pas à l’actif successoral, de même que ce montant n’est pas soumis aux règles du rapport à succession ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve héréditaire. Pour bénéficier pleinement du dispositif et limiter les cas d’assurances vie non acquitées, les conseils patrimoniaux doivent tenir compte d’un ensemble de règles, à savoir celles portant sur la nécessité d’actualiser les clauses qui s’imposent désormais.

Actualiser la clause.

L’actualisation régulière de la désignation bénéficiaire est un élément essentiel. Les assureurs peuvent être mis en cause dans le cadre de leurs obligations relatives aux contrats d’assurance vie en déshérence. Ces derniers éprouvent actuellement des difficultés pour retrouver les bénéficiaires des contrats non réglés en l’absence de révision de la clause à la suite d’un changement d’adresse, de l’évolution du nom de jeune fille en nom marital, ou encore du décès sans ayants droit mentionnés (1).

Par ailleurs, les risques d’une mise en responsabilité du conseiller sont importants. Ainsi, dans son rapport remis conjointement avec l’Autorité des marchés financiers en 2014, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) relève que la rédaction de la clause bénéficiaire doit être adaptée à la situation du client (2). Rosa Riche, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez Bordier & Cie, illustre certains des risques pris en ne réactualisant pas la clause et les réflexes à avoir en la matière (lire l’encadré p. 10). « Avant même cette recommandation, deux arrêts de la cour d’appel de Paris et de la cour d’appel Rennes datant de 2002 mettaient en garde sur ce point. Il s’agissait en l’occurrence d’une clause type. Il ne s’agit pas d’exclure cette clause en pratique mais de justifier de l’adaptation de celle-ci à la situation patrimoniale du client dans le conseil donné », met en garde Jean-Jacques Branche, directeur général de l’Ecole polytechnique d’assurances.

Les notaires et la désignation bénéficiaire.

Concernant la forme de la désignation bénéficiaire, la rédaction peut avoir lieu dans le contrat ou dans son bulletin d’adhésion, ou bien dans un acte privé séparé adressé à la compagnie, ou encore sous une forme authentique. Lorsque la clause est rédigée par un notaire, mention de cette clause sera faite dans le bulletin d’adhésion qui indiquera que la stipulation a été déposée chez un notaire. Le notaire est, à côté des conseillers patrimoniaux, un autre acteur qui pourrait bien être amené à se positionner davantage sur ce créneau de la rédaction des clauses bénéficiaires.

Pour l’heure, ceux qui le font intégreraient souvent cette clause dans les testaments. Cependant le risque de voir la somme reçue réintégrer l’actif successoral est important. La jurisprudence alerte parfaitement sur les dangers d’une rédaction qui ne permet pas de dire avec certitude si le testateur a souhaité ou non écarter les dispositions dérogatoires de l’assurance vie. La rédaction « je lègue mon contrat d’assurance vie » est à proscrire car les risques qu’elle soit interprétée comme une renonciation au régime spécifique de l’assurance vie sont importants, s’alarme Rosa Riche.

Pour éviter de confondre la clause bénéficiaire avec les dispositions testamentaires, Caroline Emerique-Gaucher, notaire à Nanterre chez Morin-Lecœur, préconise de réaliser un acte distinct de la désignation bénéficiaire du testament en rédigeant une clause non testamentaire (lire l’encadré ci-contre).

Le souscripteur est-il suffisamment protégé ?

Pour l’heure, les conseillers en gestion de patrimoine privilégient une rédaction dactylographiée, signée de leur client et annexée au bulletin d’adhésion du contrat d’assurance vie. Jean Aulagnier, doyen honoraire de l’Université d’Auvergne et vice-président de l’Aurep, a émis des réserves quant au caractère dactylographié de la clause bénéficiaire. Il plaide ardemment pour une protection accrue du souscripteur en imposant de rédiger la clause entièrement à la main afin de limiter les risques d’abus de faiblesse. Trois questions ministérielles (3) ont récemment donné échos à sa requête. « […] une simple signature suffit pour attribuer des sommes importantes, sans que les compagnies d’assurances ne puissent en vérifier la véracité. Dans la mesure où les titulaires d’assurance vie sont souvent des personnes âgées vulnérables et que les sommes représentent parfois plusieurs millions d’euros, il semblerait donc plus raisonnable que la clause bénéficiaire soit entièrement écrite de la main du stipulant pour éviter certaines dérives », énonce la question du 14 juillet 2015.

Enoncer clairement et simplement la volonté du souscripteur.

En dehors de la forme, comment bien rédiger la clause bénéficiaire dans le but d’optimiser la transmission des capitaux décès ? Il est nécessaire de rendre accessible à la compréhension de tous la volonté du souscripteur. « Après avoir décrypté ses objectifs, il faut proposer une clause cohérente avec les schémas de transmission mis en place. Il s’agit de retranscrire de façon claire des volontés parfois complexes, quitte à employer des termes non juridiques pour être parfaitement lisible », prescrit Rosa Riche. « On peut même étayer la volonté du souscripteur de manière non juridique dans un écrit séparé », ajoute Jean-Jacques Branche. Dans l’hypothèse d’un désaccord entre héritiers et le bénéficiaire de la clause, les risques encourus du fait de l’interprétation de la volonté du souscripteur devant les juges sont importants. « Ces derniers examineront la clause également à la lumière des autres stipulations existantes », rappelle Jean-Jacques Branche (lire l’encadré).

Un bénéficiaire déterminé ou déterminable...

Parmi les règles importantes à connaître en matière de rédaction, il y a celle de la désignation d’un bénéficiaire déterminé – en indiquant le nom de celui-ci ainsi que sa date et son lieu de naissance – ou déterminable, tel que « mon conjoint » ou « mes héritiers ». A éviter cependant, le mélange de la qualité, par exemple « mon conjoint » et le nom de ce dernier, sachant que les juges feront peut-être prévaloir le nom sur la qualité en cas de conflit lorsque la personne du conjoint a changé à la suite d’un divorce... A défaut de bénéficiaire déterminé ou déterminable, le mécanisme de l’assurance vie ne s’applique pas et les capitaux décès rejoignent l’actif successoral....

... et qui existe au moment de l’exigibilité du capital décès.

Les règles spécifiques de l’assurance vie ne s’appliqueront pas non plus lorsque le bénéficiaire est décédé au moment du dénouement du contrat et qu’aucun bénéficiaire subséquent n’a été désigné. Il faut ainsi indiquer qu’« à défaut », l’attribution du capital décès échoit à tel individu, et poursuivre avec un « à défaut » concernant une autre personne ou catégorie de personnes comme « les héritiers ». On peut multiplier les « à défaut ».

Par ailleurs, le mécanisme de la représentation qui existe en matière de droit des successions ne joue pas de plein droit en matière d’assurance vie. Il faut donc le prévoir dans la clause et indiquer par exemple : « mes héritiers vivants ou représentés... ». « Pour autant, ce n’est pas suffisant, il s’agira également de veiller à préciser dans quelle situation s’applique la représentation, en cas de décès et/ou en cas de non-acceptation du bénéfice de la clause », complète Jean-Jacques Branche. 

Les héritiers et autres pièges à éviter.

Lorsque le souscripteur souhaite désigner ses héritiers, il sera opportun de l’interroger sur la portée exacte de ce terme, de même que celui « d’ayant droit » qui inclut non seulement les héritiers légaux, c’est-à-dire ceux désignés par la loi en l’absence de testament, mais aussi tous les successibles dont le légataire universel. Si la volonté du souscripteur est autre, il faut le préciser dans la clause afin d’écarter tout risque de conflit.

Des clauses à choix multiples qui séduisent de plus en plus… Autre élément important, il faut prévoir à qui revient le capital décès en cas de renonciation du bénéficiaire à son capital décès. Mais que se passe-t-il lorsque l’attributaire renonce à une fraction de sa part afin de laisser le bénéficiaire de second rang en profiter par exemple ? Il ne le peut pas. Il doit accepter ou renoncer pour le tout. D’autres promeuvent le recours à la clause dite « à tiroirs » ou « à options », tel Jean Aulagnier. Cette stipulation propose à l’attributaire de choisir une certaine proportion du contrat et d’en abandonner d’autres. Une clause que certains assureurs sont encore réticents à accepter du fait que son application encourrait un risque fiscal de requalification pour donation indirecte. Ce n’est pas l’avis de Jean Aulagnier qui indique qu’une réponse ministérielle aurait été récemment déposée dont la réponse pourrait conduire à rassurer les assureurs qui expriment encore des inquiétudes (lire l’entretien p.11).

... mais qui restent sujette à caution.

Pour l’heure, il semblerait que les assureurs soient plus enclins à valider cette proposition de clause : « On constate que de plus en plus d’assureurs la valident. Cependant, si certains acceptent purement et simplement, d’autres préfèrent que le notaire en soit le dépositaire », confie François Bonte, notaire chez Michelez & Associés, une étude notariale qui prescrit souvent ces stipulations en ce que cela permet de déployer une véritable ingénierie du patrimoine. « Nous utilisons souvent cette clause qui permet de réaliser des ‘sauts de génération’ tout en conservant une certaine souplesse. Cela répond particulièrement aux préoccupations des souscripteurs ayant des grands enfants. Avec ce type de clause, le souscripteur pourra laisser à ces enfants la faculté de choisir, parmi différentes options, la part des capitaux qu’ils entendent recevoir et la part des capitaux qu’il entendent laisser à leurs propres enfants. »

Cependant, certains craignent, avec le développement de ces clauses sophistiquées, que l’on se dirige vers une industrialisation de celles-ci dans les réseaux de conseillers, une situation qui serait peu recommandable au regard du risque fiscal existant. C’est la raison pour laquelle certains professionnels préféreront préconiser la solution d’une souscription de plusieurs contrats, laissant la possibilité au bénéficiaire d’en accepter une partie seulement.

Clause bénéficiaire démembrée.

Une autre clause complexe, mais cette fois-ci bien admise en pratique, permet de réaliser un conseil sur mesure en fonction des besoins de son client souscripteur. Il s’agit de la clause bénéficiaire démembrée. Marc Thomas-Marotel, responsable de l’expertise patrimoniale et financière chez Natixis Assurances, fait le point sur ces stipulations (lire l’encadré ci-dessous) qui se développent fortement aujourd’hui en raison de leur intérêt juridique et fiscal.

 

(1) L’Agefi Actifs n°650, p. 20.

(2) L’Agefi Actifs n°631, p. 26.

(3) Quest. min. n° 84728, JOAN du 17 février 2015, Quest. min. n° 73891, JOAN du 14 juillet 2015, et Quest. min. n°14643, JO Sénat du 29 janvier 2015.