
«L’habilitation familiale exige la sérénité»

L’Agefi Actifs – Qu’est-ce que l’habilitation familiale ?
David Noguéro - En vigueur depuis le 1er janvier 2016, après l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, il s’agit d’une nouvelle mesure de protection juridique des majeurs, lorsque le majeur concerné est considéré médicalement hors d’état de manifester sa volonté, qui est un mandat judiciaire familial, exercé à titre gratuit, qui peut prendre plusieurs formes, pour la protection des biens et/ou de la personne, étant plus ou moins étendu quant aux pouvoirs accordés à la ou les personnes habilitées par le juge parmi les proches limitativement désignés par la loi à l’article 494-1 du Code civil, qui modifié devrait également comprendre prochainement le conjoint. Le juge des tutelles (art. L. 221-9 COJ) territorialement compétent est celui du lieu de résidence habituelle du majeur, selon l’article 1060-1 du code de procédure civile (CPC), créé par le décret n° 2016-185 du 23 février 2016.
Dans quel contexte celle-ci trouve-t-elle s’appliquer ?
L’exposé des motifs du projet de loi de ratification, rendu public en janvier dernier, insiste particulièrement sur l’utilité de l’instrument au sein d’un famille où la confiance et la concorde règnent entre les membres et à l’égard du majeur vulnérable. En cas de conflit familial, l’instrument n’est pas adapté.
En aval, le juge qui peut être saisi des difficultés, selon l’article 494-10 de Code civil, ne manquera pas d’y mettre fin. Par ailleurs, l’exécution de la mesure susceptible de porter atteinte aux intérêts du majeur est une cause de fin de l’habilitation indiquée à l’article 494-11 de Code civil.
En amont, la mise en place du dispositif n’interviendra qu’après vérification de l’ambiance d’entente. En ce sens, la loi prévoit l’intervention du juge des tutelles qui statue tant sur le choix de la personne habilitée que sur l’étendue de l’habilitation délivrée. Celui-ci doit s’assurer, avant sa mise en place, du fait que le dispositif est conforme aux intérêts du majeur concerné, selon l’article 494-5 du Code civil. En outre, en règle, une audition du majeur à protéger est prévue (encore, art. 1060-6 CPC), puis l’écoute à l’audience (art. 1260-9 et 1260-10 CPC). Surtout, le juge doit s’assurer de l’adhésion à la mesure et au choix de la personne habilité, des proches connus (ce que doit faciliter le contenu de la requête décrit aux articles 1060-2 et 1060-3 CPC), ou, tout du moins, à leur absence d’opposition légitime, en vertu de l’article 494-4. Il va sonder l’entourage (art. 1260-7 CPC).
Cela en fait-il un concurrent de la tutelle et du mandat de protection future ?
Le vœu du législateur est de permettre aux familles d’éviter les mesures judiciaires auxquelles les proches peuvent parfois recourir avec réticence, les estimant « lourdes », que ce soit psychologiquement ou techniquement. La concurrence ne pourra exister que si le climat familial le permet. L’habilitation exige la sérénité. Peut-être que pour des patrimoines plus importants qu’une retraite et un bail à gérer, elle sera à l’occasion inadaptée. On glissera alors vers la sauvegarde de justice, la curatelle ou la tutelle, qui met fin à l’habilitation selon l’article 494-11. Rappelons que pour les mesures judiciaires, à défaut de choix du majeur pour désigner par avance l’organe protecteur (art. 448 du Code civil), la loi prend le parti de la confiance faite aux proches avec le principe de priorité familiale (art. 449 de Code civil).
Il faut certes transiter par le juge, mais pas par les émoluments d’un avocat, ni ceux d’un notaire. La simplicité du recours à l’habilitation et de son fonctionnement, additionnée à son coût moindre, qui repose en principe sur les épaules du majeur (art. 419), seront peut-être des facteurs de sa diffusion dans le public.
Pour les mesures conventionnelles, dans le respect du principe plus large de subsidiarité rappelé à l’article 494-2, le mandat de protection future aura priorité si cette anticipation a été réalisée et qu’elle est conforme à l’intérêt du majeur. A défaut, l’habilitation est à disposition. Le majeur sous habilitation ne peut conclure un mandat de protection future pour soi ou pour autrui (art. 477 et 494-8 de Code civil). La concurrence viendra ici des faits car rares sont les majeurs qui anticipent l’organisation de leur protection pour le temps de leur décrépitude ! Et certaines personnes sont célibataires, veuves, isolées, sans famille. La sociologie des situations est déjà un frein au recours à cette mesure.
Jusqu’à présent, le mandat de protection future n’a pas connu le succès escompté. Pensez-vous que l’habilitation familiale puisse prendre le pas sur cet outil déjà assez peu répandu ?
Un instrument nouveau met toujours du temps à être connu des utilisateurs potentiels, et il doit être culturellement réceptionné par ses possibles destinataires qui ne sont pas des professionnels de l’actualité et de la technique juridiques. Perfectible, il doit s’adapter aux réalités, comme en témoigne le principe, enfin admis par la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, de la publicité du mandat de protection future (art. 477-1 du Code civil).
L’habilitation familiale ne séduira pas forcément, sur le terrain, les mêmes « clients » que ceux du mandat de protection future. Néanmoins, en droit, elle peut offrir des opportunités comparables au mandat notarié, par exemple, puisque l’article 494-6 du Code civil permet une habilitation familiale générale portant sur des actes d’administration ou de disposition, sans autorisation préalable du juge, sauf pour les actes à titre gratuit. Pour les sanctions, énumérées à l’article 494-9, elle ouvre la période suspecte pour critiquer les actes antérieurs à son prononcé. De plus, si le majeur conserve en principe sa capacité juridique (art. 494-8), dans la sphère de représentation accordée, l’acte qu’il a pu passer est nul, comme en sauvegarde de justice, avec le mandataire spécial.
Certains craignent que l’habilitation familiale favorise les abus de faiblesse. Qu’en pensez-vous ?
Malheureusement, les abus de faiblesse comme la maltraitance existent. Les personnes vulnérables peuvent en être victimes face à des professionnels de la protection ou des prestataires de service, voire en institution, comme face à des membres de leur propre famille. Toutefois, ce n’est pas l’instrument qui fait naître cet abus ou le favorise. La bassesse humaine y pourvoit suffisamment. Je répète que l’habilitation familiale n’est pas faite pour une famille pathogène. Plus largement, par rapport à une personne hors d’état de manifester sa volonté non bénéficiaire d’une mesure de protection juridique, une telle mesure est même un avantage, puisqu’elle met aux manettes un tiers identifié, devant respecter les charges tutélaires, responsable chargé de la protection, qui peut dissuader des tiers indélicats d’entrer en contact avec le majeur pour passer des actes douteux. Mieux vaut un cadre que la loi de la jungle ou une procuration extorquée sans contrôle judiciaire…
Dans l’habilitation familiale, lorsqu’elle sera accordée pour un acte ou plusieurs actes, d’administration et/ou de disposition (première option), le juge aura certainement pesé une éventuelle opposition d’intérêts ou un abus craint lors de la mise en place du dispositif. Raisonnablement, on peut penser qu’il écartera celui qui voudrait profiter d’une habilitation pour en tirer un profit personnel.
En présence d’une habilitation générale (seconde option), à durée déterminée de dix ans, renouvelable, soumise à la même publicité que la curatelle ou la tutelle, le pouvoir porte sur un ensemble d’actes, ce qui est un pouvoir général d’administration du patrimoine. La loi a prévu l’hypothèse de l’opposition d’intérêts entre la personne habilitée et celle protégée. Si l’organe protecteur en place ne prend pas l’initiative, des tiers pourront faire le signalement car ce sera incontestablement une difficulté d’application du dispositif (art. 494-10). L’opposition divulguée, l’intérêt du majeur est encore en vue. Condition primordiale, il doit en effet être pesé par le juge saisi s’il décide, exceptionnellement, d’accorder une autorisation pour passer l’acte. De surcroît, ne négligeons pas que, comme en mandat de protection future, l’article 424 du code civil, souligne que la personne habilitée engage sa responsabilité en cas de manquement. Le sort de son acte hors champ d’habilitation est celui de la nullité (art ; 494-9). Cela l’incitera, par précaution, à la régularité dans sa gestion, et à en conserver les traces et justificatifs, même si strictement n’est pas imposée un contrôle des comptes ou leur reddition, ce que peut justifier l’harmonie voulu dans la famille.
Quelles améliorations pourrait-on apporter à cette réforme ?
Le projet de loi de ratification de l’ordonnance le prévoit déjà ! Sera corrigée une coquille à l’article 494-6 par un mauvais renvoi au texte sur la fin de la mesure. Une « erreur de plume » qui montre l’inconvénient de la législation par renvoi couplée à l’inattention des faiseurs de textes. Encore, après son occultation en raison de la croyance erronée dans les pouvoirs similaires des régimes primaire et matrimoniaux, et le cadre limité de la loi d’habilitation, il y aura l’introduction légale du conjoint à l’article 494-1, pour les proches à habiliter ou qui peuvent saisir le juge, avec les conséquences pour la subsidiarité à l’article 494-2.
Plus fondamentalement, l’application pratique révèlera certainement les améliorations à apporter. Aujourd’hui, par exemple, sauf à consacrer une interprétation extensive de l’article 494-11, le remplacement de la personne habilitée, en cours d’habilitation, n’est pas formellement prévu. L’essentiel est de voir si les familles dépasseront l’encadrement informel qu’elles peuvent privilégier, pour l’heure, voire un mandat classique, la fameuse procuration, pour apprivoiser et s’intéresser à l’habilitation familiale, dont les pouvoirs publics n’ont guère vanté l’arrivée !