Ingénierie patrimoniale

Les conséquences d’une expatriation à Hong Kong

Bertrand Cosson, directeur de l’ingénierie patrimoniale, Banque Transatlantique et Agnès Maréchal, juriste, diplômée notaire, Lefèvre Pelletier et associés Hong Kong Office
Lorsqu’un couple s’installe à Hong Kong avec ses enfants pour des motifs professionnels, il importe de bien mesurer l’ensemble des implications civiles et fiscales
En effet, dans les pays anglo-saxons de Common Law, dont le système juridique hongkongais s’est largement inspiré, de nombreuses règles divergent du droit français
Cet article a fait l'objet d'une publication dans L'Agefi Actifs, n°655 du 26 juin 2015
DR, Bertrand Cosson, directeur de l’ingénierie patrimoniale, Banque Transatlantique, et Agnès Maréchal, juriste, diplômée notaire, Lefèvre Pelletier et associés Hong Kong Office

Monsieur et Madame Martin, âgés de 50 ans et de nationalité française, sont partis de France pour Hong Kong en 2008 à la suite d’une promotion comme directeur marketing dans un grand groupe local pour Monsieur Martin. Madame Martin travaille également à Hong Kong pour la chambre de commerce française. Ils ont deux enfants, âgés de 17 et 13 ans, qui étudient au lycée français de Hong Kong. Ils se sont mariés en France en 2000 sans contrat de mariage mais ont fait une donation entre époux.

Ils ont, du fait de divers héritages, deux biens immobiliers en France : une résidence secondaire d’une valeur de un million d’euros et des parts d’une SCI familiale d’une valeur de 1,5 million d’euros. Ils possèdent également en France un contrat d’assurance vie d’une valeur de 500.000 euros et un compte titres d’OPCVM de capitalisation de droit français de 300.000 euros. Ils détiennent également à Hong Kong un appartement à titre de résidence principale (valeur 2 millions d’euros), des comptes bancaires et des comptes titres investis en produits locaux diversifiés (valeur : 1,5 million d’euros).

CONSÉQUENCES CIVILES DE L’EXPATRIATION

Régime matrimonial.

Depuis le 1er septembre 1992, dans un contexte international (mariage entre un français et un étranger, ou alors mariage entre deux nationaux domiciliés à l’étranger), la Convention de la Haye du 14 mars 1978 règle la question de la détermination du régime matrimonial en l’absence de contrat : le régime matrimonial applicable par défaut est celui de l’Etat sur le territoire duquel les époux établissent leur première résidence habituelle après le mariage.

Dans la situation de Monsieur et Madame Martin, il ne fait aucun doute que ceux-ci ont établi leur première résidence en France avant de s’expatrier en 2008 à Hong Kong. Ils se sont donc trouvés soumis au régime matrimonial français de la communauté réduite aux acquêts.

Un bémol important cependant : après dix ans de résidence à Hong Kong, les Martin basculeront automatiquement sous le régime matrimonial en vigueur par défaut dans l’Etat de leur résidence. En effet, la Convention de La Haye prévoit le principe de mutabilité automatique du régime matrimonial en vertu duquel la loi interne de l’Etat où les deux époux ont leur résidence habituelle se substitue à la loi précédemment applicable lorsqu’après le mariage, cette résidence dure depuis plus de dix ans.

En pratique, à compter de 2018, les Martin se verront appliquer les règles hongkongaises en la matière. Or, dans les pays anglo-saxons de Common Law, dont le système juridique hongkongais s’est largement inspiré, le mariage n’entraîne aucune modification dans les rapports qu’ont les époux vis-à-vis des biens qu’ils acquièrent à compter de leur union. En réalité, le mariage ne change rien à la situation antérieure. Par analogie, on considère alors qu’il s’agit d’un régime de séparation de biens, équivalent, selon notre système juridique, à l’absence de conséquence juridique du mariage sur l’acquisition de la propriété.

Seule la volonté exprimée des époux Martin, soit par un contrat de mariage fait à l’origine, ou un acte de désignation de loi applicable établi en cours d’union, pourrait faire échec à ce principe de mutabilité.

Divorce.

Les époux Martin pourraient saisir la juridiction hongkongaise sur le fondement du lieu de leur résidence tout comme la juridiction française sur le fondement de leur nationalité. En pratique, la juridiction saisie statuera selon ses propres règles de procédure et de droit, hongkongais ou bien français.

Si l’on tire toutes les conséquences de l’absence de concept de régime matrimonial, le juge hongkongais ne tiendra pas compte du régime des époux Martin dans le divorce, si celui-ci relève de la communauté. Il allotira éventuellement l’époux le plus démuni des biens de l’époux le plus riche, en fonction des éléments de fait (durée du mariage, dégradation du train de vie lié au divorce, difficulté de l’un des époux à retrouver un emploi…) Cet allotissement, à titre de réparation du préjudice du fait du divorce, pourra aller jusqu’à l’abandon de la moitié de la fortune de l’un à l’autre. On voit donc tout de suite les avantages que l’un ou l’autre des époux Martin pourraient tirer à choisir le premier, de façon pertinente, le juge compétent.

Successions.

Aujourd’hui encore, les règles de droit international privé, tant françaises que hongkongaises, convergent totalement : la succession mobilière est régie par la loi de l’Etat du domicile et la succession immobilière est régie par la loi de l’Etat de lieu de situation de l’immeuble. Il n’y a donc jamais de conflit de lois.

Pour autant, les époux seraient confrontés au système juridique de Common Law dont certains concepts ne sont pas transposables dans notre système. Notamment, le principe de la réserve héréditaire est totalement inconnu : chacun est libre de tester en faveur de qui bon lui semble sans aucune restriction liée au lien de filiation ou d’alliance. Par ailleurs, la loi successorale hongkongaise prévoit également qu’en cas de décès d’un époux laissant derrière lui son conjoint et ses enfants, le premier hérite des biens mobiliers (« personal chattels ») et, en outre, d’un legs net de frais et droits de 500.000 dollars hongkongais (environ 57.000 euros). Le reliquat du patrimoine est placé dans un trust au bénéfice du conjoint survivant pour moitié pendant sa vie, et au bénéfice des enfants pour l’autre moitié. Enfin, la donation entre époux ne serait pas regardée comme une disposition à cause de mort valable en droit hongkongais.

Impact du nouveau règlement européen.

Pour les successions ouvertes à compter du 17 août 2015, avec l’entrée en application du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 sur les successions, il sera désormais possible de choisir la loi applicable à sa succession, entre celle de l’Etat de dernière résidence habituelle du défunt (également applicable à défaut de choix) et celle de l’Etat de sa nationalité. Ce règlement est d’application universelle : toute loi désignée s’applique, même si la loi choisie n’est pas celle d’un Etat membre.

Les époux Martin pourraient donc valablement désigner par testament, de forme hongkongaise ou française, la loi hongkongaise pour régir l’intégralité de la succession. Ils pourraient ainsi faire complètement échec à la réserve héréditaire, a minima applicable actuellement sur la résidence secondaire, et léguer tout leur patrimoine en pleine propriété au conjoint survivant, sans gratifier les enfants (sauf pour ces derniers à invoquer une atteinte à l’ordre public international, ce qui n’est pas acquis s’agissant de la réserve héréditaire).

A noter aussi que ce choix en faveur de la loi hongkongaise fera basculer la totalité du règlement de la succession selon les principes de Common Law en la matière : contrairement à notre système, les biens du défunt sont transmis à un « executor », approuvé par le juge et chargé d’administrer la succession (en rassemblant les éléments d’actif et de passif et en acquittant les dettes) avant de répartir le reliquat entre les héritiers.

En revanche, il est encore difficile d’évaluer les difficultés d’application du règlement dans l’hypothèse où les époux Martin choisiraient la loi française pour gouverner la succession alors que le droit international privé hongkongais suit toujours la règle de la scission du règlement de la succession.

CONSÉQUENCES FISCALES DE L’EXPATRIATION

ISF.

La France et Hong Kong sont liés par un accord signé le 21 octobre 2010 (applicable depuis le 1er janvier 2012) en matière d’impôt sur les revenus et qui dispose d’un article 21 consacré à l’impôt de solidarité sur la fortune. Il peut paraître surprenant que la France ait signé un tel accord en matière d’ISF pour éviter les doubles impositions, sachant qu’il n’y a pas d’ISF à Hong Kong. Mais en réalité, le paragraphe 4 de l’article 21 sur l’ISF permet à la France d’appliquer intégralement ses propres dispositions en matière d’ISF comme s’il n’y avait pas cet accord.

Par exemple, la détention d’un bien immobilier locatif en France par une société de Hong Kong contrôlée par un résident de Hong Kong rend ce dernier redevable de l’ISF en France sur ce bien immobilier (s’il dépasse bien entendu le seuil d’imposition de 1,3 million d’euros), même si la société de Hong Kong n’est pas une société à prépondérance immobilière en France (application de l’article 750 ter 2° du CGI).

Dans la situation de Monsieur et Madame Martin, ils sont donc redevables de l’ISF sur le bien immobilier en direct et sur les parts de la SCI familiale, soit pour une valeur de 2,5 millions d’euros. Ils ne sont pas soumis à l’ISF sur leur bien immobilier situé à Hong Kong ni sur leurs placements financiers situés à Hong Kong et même en France (exonération des placements financiers en France des non-résidents par l’article 885 L du CGI).

Droits de donation et succession.

Il n’y a pas d’accord ou de convention entre la France et Hong Kong en matière de droits de succession et de donation, sachant que Hong Kong a aboli les droits de mutation à titre gratuit depuis 2006. Ainsi, la France peut appliquer son droit interne sans aucune restriction, étant précisé que le nouveau règlement européen n’a pas d’impact fiscal direct mais seulement indirect s’il modifie la dévolution civile de la succession.

Si une succession venait à s’ouvrir dans la situation actuelle des époux Martin, sans préjuger des questions civiles, il y aurait une taxation en France des biens situés en France (article 750 ter du CGI) : l’immobilier en direct, les parts de SCI et les OPCVM de droit français. Le bénéfice du contrat d’assurance vie de 500.000 euros ne serait pas taxable en France du fait des règles de territorialité spécifiques des contrats d’assurance vie souscrits avant 70 ans depuis le 13 octobre 1998 (article 990 I du CGI) : pas de taxation en France si l’assuré et les bénéficiaires sont non-résidents au jour du dénouement du contrat. Il est donc sans conséquence que le contrat soit français, c’est-à-dire souscrit auprès d’une compagnie d’assurances française (contrairement aux OPCVM détenus par les époux Martin), ou que le souscripteur était domicilié en France au jour de la souscription.

En cas de donation envisagée par les époux Martin au profit de leurs enfants, les droits de donation seraient applicables, comme pour les droits de succession, seulement sur les biens situés en France : l’immobilier en direct, les parts de SCI et les OPCVM de droit français. Une donation portant sur le bien immobilier, les comptes bancaires ou les placements financiers non français ne serait pas taxable en France ni au jour de la donation, ni même en cas de retour en France des époux Martin avant leur succession.